DOSSIER MAHGREB
Etat et capital privé se confondent au Maroc
Depuis la crise de la dette en 1980, le Maroc a toujours été un bon élève des Institutions financières internationales. Alors que l’agenda néolibéral se poursuit, la situation sociale se dégrade. La « gestion active de la dette extérieure, la bonne gouvernance, l’ouverture politique et la lutte contre la pauvreté ne sont que des leurres. Bien que dynamiques, les mouvements sociaux marocains subissent la répression et manquent de force mais ne se résignent pas.
Interview réalisée par Olivier Bonfond (CADTM Belgique) de Brahim Oubaha, secrétaire général d’Attac Maroc, organisation membre du CADTM International.
par Brahim Oubaha
Peux-tu nous décrire en quelques mots les caractéristiques de la dette marocaine et le rôle qu’elle joue sur la société marocaine ?
Le Maroc est parmi les pays qui ont le plus souffert des plans d’ajustement structurel (PAS) depuis leur application au début des années 80. Etranglés financièrement mais dans l’obligation de rembourser, l’ouverture des marchés, la création de zones franches, les privatisations massives, l’austérité budgétaire ont été imposées par les Institutions financières internationales (IFIs) à l’ensemble de la société marocaine avec un coût social énorme. Chaque année, une part importante de la richesse produite par les travailleurs marocains, plutôt que de servir au développement du pays, repart vers le Nord au titre du remboursement de la dette. A l’heure actuelle, la dette reste une des causes principales de la perpétuation du sous-développement de la structure économique et sociale marocaine, de l’aggravation de la pauvreté et des inégalités, ainsi que du renforcement de sa dépendance vis-à-vis des puissances impérialistes du Nord. Malheureusement, on constate un certain désintérêt des mouvements sociaux par rapport à cette question.
Pourtant, il apparaît que la dette extérieure marocaine a diminué fortement ces dernières années. Certaines sources parlent d’une diminution de 50 % en 7 ans. Quelle est ton analyse par rapport à cela ?
Il est vrai que le gouvernement a réussit à faire passer sa dette extérieure de 21,3 milliards de dollars fin 1992 à 14,3 milliards de dollars fin 2003. Mais cette baisse est relative, conjoncturelle, n’est pas le résultat d’une soi-disant gestion rationnelle et efficace et a surtout profité aux créanciers du Nord et aux classes capitalistes locales. Les mécanismes qui ont été mis en place afin d’aboutir à cette diminution sont multiples et souvent critiquables.
Premièrement, dans un contexte actuel de taux d’intérêt relativement bas, le Maroc a pu racheter et refinancer des dettes afin de les rendre moins onéreuses.
Deuxièmement, le Maroc a procédé à des remboursements anticipés importants : au cours de la période 1993- 2003, il a remboursé 33,4 milliards de dollars au titre du service de la dette. Un petit calcul montre qu’il n’a donc réussi à baisser le solde de sa dette extérieure que de 7 milliards de dollars, alors qu’il a transféré, dans le même temps, des sommes cinq fois plus importantes. Rappelons que ce qui compte avant tout pour un pays, ce n’est pas tant le niveau de son endettement que les montants qu’il doit rembourser. Et pour le Maroc, le service de la dette reste très lourd, puisqu’il représente environ 40 % du budget de l’Etat. Dans cette perspective, la diminution de la dette extérieure publique marocaine représente la poursuite de cette injustice qui consiste à rembourser le plus possible, le plus vite possible et cela, au mépris du bien-être des populations.
Troisièmement, le gouvernement a généralisé, par des accords bilatéraux avec ses principaux créanciers, à savoir la France, l’Espagne et l’Italie, le mécanisme de la conversion de dettes en investissement. Ce mécanisme, s’il permet de diminuer la dette extérieure, permet surtout aux entreprises multinationales de s’accaparer à très bon prix des secteurs stratégiques et rentables.
Quatrièmement, la diminution de la dette n’est que relative car on a assisté ces dernières années à un transfert d’une dette externe vers une dette interne. Alors que la dette externe diminue de 7 milliards de dollars entre 1992 et 2003, durant la même période, la dette interne est multipliée par deux, passant de 12,3 à 24,8 milliards de dollars. Au total, le stock total de la dette publique marocaine augmente donc de 5 milliards de dollars, pour atteindre 38,4 milliards de dollars en 2004. Tout comme la dette extérieure, la dette intérieure est un outil de transfert de la richesse produite par les petits producteurs et les ouvriers en direction principalement des capitalistes marocains. Le comble est que cette classe capitaliste marocaine qui détient aujourd’hui la majorité de la dette intérieure est la même qui a bénéficié de la dette extérieure. Etroitement liée au pouvoir, c’est elle qui a souvent tout simplement détourné une partie de l’argent public. C’est elle aussi qui a bénéficié des dépenses d’infrastructure réalisées via l’endettement public. C’est elle encore qui a bénéficié des privatisations. Grâce à la corruption, l’endettement non productif et la vente des entreprises publiques à bas prix, la classe capitaliste locale a réussi à accumuler des fortunes énormes, qui peuvent maintenant être prêtées à nouveau à l’Etat. La boucle est bouclée. Pendant ce temps, ce sont les populations qui, via les taxes et les impôts, paient la note et voient leurs conditions de vie atteindre des niveaux inacceptables.
Enfin, il faut rajouter que la diminution de la dette extérieure n’est que temporaire car ces mécanismes ne sont pas viables à long terme. Le processus d’endettement extérieur a d’ailleurs déjà recommencé et la Banque mondiale, dans son dernier rapport sur le Maroc, estime que la dette extérieure du Maroc atteindra 20 milliards de dollars en 2009. Le Maroc n’est donc pas près de sortir du cercle vicieux de l’endettement.
Pour la Banque Mondiale et le FMI, le Maroc, bien que n’allant pas assez vite dans ses réformes, serait cependant sur la « bonne » voie en terme de développement humain, de démocratie, d’intégration à la mondialisation. Qu’en penses-tu ?
Lorsqu’on analyse le comportement du gouvernement marocain, on se rend compte, que, comme dans beaucoup de pays du Tiers Monde, il tient un double langage. D’un côté, il parle abondamment de bonne gouvernance, lutte contre la pauvreté et met en place différentes initiatives allant dans ce sens, comme par exemple l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Mais en réalité, ces initiatives, soutenues et financées par la Banque mondiale, ne sont que du « vent ». Elles ont pour objectif principal de faire passer plus facilement l’agenda néolibéral qui implique des politiques profondément antisociales. Quant à l’ouverture politique, c’est un peu le même problème. Il est dans l’intérêt de la monarchie d’approfondir le néolibéralisme, mais en même temps, elle doit limiter les risques de perturbations sociales qui pourraient mettre sa stabilité et sa légitimité en danger. Il faut se souvenir que le régime, suite à l’application des PAS, a dû faire face à trois révoltes populaires, et ce en moins d’une décennie (1981, 1984, 1991). L’ouverture politique, pourtant arrachée par des luttes sociales, reste donc très limitée et a, entre autres, pour objectif de rallier l’opposition historique aux choix économiques et sociaux de la monarchie et, par la même occasion, d’affaiblir l’ensemble de l’opposition sociale.
Que veux-tu dire quand tu dis qu’il est dans l’intérêt de la monarchie de poursuivre l’agenda néolibéral ? Ne faudrait-il pas mieux parler d’obligation ?
On touche ici à une question essentielle, à savoir la question de la fortune du roi Mohammed VI. Lorsqu’on parle de la fortune de la monarchie, on ne parle pas de la fortune de l’Etat, mais bien de la fortune personnelle du roi. Mohammed VI est de loin le plus grand capitaliste du Maroc. Il est également le plus grand exploitant agricole. La famille royale et ses proches dominent totalement la sphère économique marocaine. Ils contrôlent, notamment via la multinationale ONA, 40% à 90 % des marchés de l’agroalimentaire, des mines, de la grande distribution et des activités financières. Le fait que la classe politique ait des intérêts proches avec la classe capitaliste locale n’est pas une exception en Afrique, mais au Maroc, cela prend des proportions énormes, dans le sens où il y a quasiment confusion entre ces deux classes. On comprend alors facilement pourquoi le gouvernement marocain veut poursuivre le processus de privatisations ou pourquoi il va geler les subventions agricoles, politique désastreuse pour les petites entreprises mais lui permettant de maintenir et renforcer sa position dominante sur le marché.
Dans ce contexte, comment ATTAC / CADTM Maroc définit-il sa stratégie ?
Il est beaucoup plus difficile au Maroc de militer dans une organisation qui travaille sur la question des privatisations ou de la dette que sur d’autres questions qui touchent moins directement les intérêts de la monarchie. Les menaces et la répression sont récurrentes. Avec nos forces, nous essayons cependant de porter nos grandes thématiques au cœur des débats avec les populations, afin de les sensibiliser, les mobiliser et les pousser à agir. Il s’agit notamment de montrer à la population que des réformes sociales sont tout à fait réalisables, simplement via une autre utilisation du budget de l’Etat. Alors que 60% des recettes de l’Etat proviennent d’impôts sur les populations, 30% à 40 % servent à rembourser la dette, 20% partent dans les dépenses militaires ... Avec quelques milliards ponctionnés sur ces dépenses, on pourrait sans problème améliorer sensiblement les conditions de vie des Marocains, notamment en terme de santé et d’éducation. Il s’agit également de casser les idées préconçues nourries au quotidien par les grands médias, comme la nécessité des privatisations ou encore le caractère inéluctable de la mondialisation. Tout ce travail, quel que soit le thème spécifique analysé, vise avant tout à augmenter la conscience critique des Marocains et à créer un rapport de force permettant à la population marocaine de faire enfin valoir ses droits.
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URL: http://www.cadtm.org
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Forums sociaux et altermondialisme au Maghreb
Dès le début des années 1990, les contestations, mobilisations et luttes contre le capitalisme dans toutes ses formes vont prendre une dimension internationale et donner naissance à un mouvement anti-mondialisation à l’échelle planétaire. De la lutte des Indiens du Chiapas au Mexique à partir de 1994 jusqu’aux mobilisations à Seattle contre le sommet de l’OMC en 1999, en passant par plusieurs rencontres et mobilisations contre le G8, le FMI et la Banque mondiale, contre le sommet de Davos, etc. Des centaines de milliers de militants, représentant diverses organisations des différents coins du monde ont pris l’habitude de se rencontrer pour manifester leur colère contre les guerres, contre la domination par le capital... Ayant tous la pleine conviction qu’il faut désormais se "mondialiser" pour pouvoir résister à la mondialisation néolibérale.
La naissance du Forum social mondial à Porto Alegre en 2001 va marquer le passage de l’anti-mondialisation à l’altermondialisation. Dès lors, le mouvement altermondialiste ne cesse de grandir et les Forums sociaux d’essaimer. Au Maghreb, ce sont les militants marocains et tunisiens présents lors du premier FSM qui ont été derrière "l’importation" de l’idée du Forum social, et donc de la naissance d’un "mouvement altermondialiste" au Maghreb.
par Mimoun RAHMANI
Emergence de l’altermondialisme au Maghreb
Si ATTAC France a joué un rôle considérable dans la naissance du mouvement altermondialiste au niveau mondial, les sections d’ATTAC Maroc et RAID - ATTAC Tunisie ont joué un rôle clé dans l’importation de l’idée du mouvement au Maghreb (NDLR : le RAID est le Rassemblement pour une Alternative internationale de Développement, créé en 1999 et membre de la plate-forme internationale du mouvement ATTAC).
Dès décembre 1997, suite à la publication dans le Monde diplomatique de l’éditorial historique intitulé "Désarmer les marchés" qui a appelé à la création de l’association ATTAC, de nombreux militants de la gauche radicale marocaine suivent avec intérêt le processus de la naissance de l’association en France. Son importation au Maroc est sérieusement envisagée à partir du début de l’année 2000 [1].
L’Assemblée constitutive est tenue le 15 juillet 2000 et le premier congrès, une année plus tard. Au-delà des problèmes internes, d’ordre organisationnel et du "conflit" entre le secrétariat national et les groupes locaux qui a duré près de quatre ans, ATTAC Maroc a toujours marqué sa présence dans les différents Forums sociaux. C’est par l’expérience acquise de ses militants que le groupe de Rabat s’est vite impliqué dans la préparation du Forum social Maroc.
La dynamique des Forums sociaux au Maghreb
Maroc : un Forum, deux "mouvements"
C’est à Porto Alegre, à l’occasion de la 2ème édition du FSM en 2002, à laquelle ont participé des militants marocains, qu’est née l’idée d’organiser un FSMaroc. Il s’agit en fait de deux initiatives, à l’origine séparées mais qui vont finir par se réunir pour donner naissance à cet événement. L’Espace associatif [2] et l’AMSED [3] avaient déjà évoqué cette possibilité lors d’une discussion informelle au Brésil, mais leur réflexion est restée sans suite. Les choses se sont concrétisées quand, invité par ATTAC Rabat à une rencontre sur la question des privatisations, l’un des députés PPS [4], également membre du CERAB [5] et impliqué dans le FSM des parlementaires, lance l’idée d’un FSMaroc.
Aussitôt, les préparatifs commencent et le premier FSMaroc a bel et bien eu lieu les 20, 21 et 22 décembre 2002, avec une participation de 400 à 500 personnes. Cette expérience a été considérée comme réussie, bien qu’elle soit le résultat d’une alliance entre deux "mouvements" à intérêts divergents et aux visions contradictoires.
La préparation du 1er puis du 2ème Forum social marocain s’est faite à partir d’un comité de pilotage excessivement fermé et restreint, cependant que l’espace du Forum s’ouvrait essentiellement en direction des associations de développement. La 2ème édition a été de ce fait un simple vaste Forum des associations et ONG, toutes, à de rares exceptions près, choisies et triées par le comité de pilotage (quoique le nombre des participants ait atteint les 1.500 personnes) !
Ce n’est qu’en 2004, juste avant le 2ème FSMaroc et avec l’annonce de la candidature marocaine pour accueillir le Forum social mondial, que des organisations syndicales (CDT, UMT, FDT), des associations des droits humains (AMDH) et des mouvements sociaux (ANDCM [6] et ANNAJAT) ont rejoint le comité de pilotage du FSMaroc.
Les nouveaux venus, à l’exception de la CDT et de la FDT, ont renforcé les positions d’ATTAC appelant à ancrer davantage le Forum social dans le combat anti-libéral et dans les mobilisations se déroulant dans le pays. Face à cette tentative, pour légitime qu’elle soit, de créer un équilibre des rapports de forces, les "spécialistes" et "experts" du FSMaroc répondaient tantôt par le boycott des réunions, tantôt par le dévoiement des débats vers des futilités et des conflits de personnes. Le projet d’un FSM au Maroc ayant été finalement refusé par les autorités marocaines, le Comité de pilotage s’est réinvesti dans une nouvelle initiative : le Forum social maghrébin.
Après deux éditions du FSMaroc, on n’a jamais entendu parler d’une 3ème. Et l’Assemblée générale élargie, sensée être la plus haute instance décisionnelle dudit Forum, qui devait normalement se tenir tous les trois mois, ne s’est pas réunie depuis le 9 mai 2005 !
Alors que les mouvements sociaux sont en état d’ébullition au Maroc ces derniers temps, à cause justement de l’exacerbation des problèmes sociaux liés à l’application des mesures libérales, le FSMaroc n’a pas jusqu’à ce jour été capable de constituer un catalyseur des résistances, ni de servir de relais aux grandes mobilisations mondiales (contre la guerre, contre les IFI et le G8, contre l’OMC...), ni même de se faire au moins l’écho de ces mobilisations.
Algérie : deux "mouvements", deux "Forums" !
Le FS Algérie est un cas de Forum social qui n’existe nulle part. Il s’agit plutôt d’un "Forum - association", créé en novembre 2004 lors d’une assemblée générale constitutive ayant adopté une déclaration, un programme d’action et un statut particulier ! L’article 7 des statuts stipule que "le FSA est constitué de membres fondateurs, de membres actifs et de membres d’honneur" !
Le FSA a donc son président, son secrétaire général, son bureau exécutif... Et pourtant il se réfère dans sa déclaration à la charte de Porto Alegre.
A l’opposé, des militants algériens ont contesté ce "Forum - association" et se proclament en "Forum social Algérie libre" (FSA libre). Des représentants des deux "Forums" étaient présents à Bouznika au Maroc lors de l’Assemblée préparatoire du FSMaghreb fin janvier 2006. Leurs positions sont contradictoires et tendues. Le prochain Forum social Algérie, annoncé pour les 14 et 15 décembre 2006, sera-t-il en mesure de réconcilier les deux initiatives ?
Tunisie : des mouvements en quête d’un Forum social
La Tunisie, à l’instar des autres pays du Maghreb, a été profondément touchée par les conséquences des applications des politiques néolibérales en termes d’inégalités sociales, de pauvreté, d’exclusion, de chômage, d’émigration clandestine... S’ajoutent à cela les atteintes aux droits humains, la répression... Ce qui a nourri des mouvements sociaux et contestataires qui se sont exprimés par le biais de grèves de la faim, de sit-in de protestation, etc.
L’idée d’un Forum social Tunisie s’impose de plus en plus, mais reste toujours censurée par les pouvoirs publics. Un comité national d’action pour un FSTunisie a été mis en place en 2004 et ne cesse de réclamer son droit à l’organisation d’un Forum social. Un comité de jeunes a lui aussi exprimé son souhait d’organiser un FSTunisie de jeunes, mais en vain. Les militants tunisiens, dont RAID - ATTAC Tunisie, sont très impliqués dans le FS Méditerranée et davantage dans la préparation du FSMaghreb. Ils sont également présents dans les différents Forums sociaux continentaux et dans le FSM.
Un FS Maghreb calqué sur ses prédécesseurs !
C’est dans ce contexte, marqué par la faiblesse des mouvements sociaux maghrébins et leur incapacité à rassembler et mobiliser les populations, qu’est née l’idée d’un FSMaghreb. L’assemblée préparatoire, tenue du 27 au 29 janvier 2006 à Bouznika au Maroc, a réuni 400 représentants d’associations et d’ONG, venant du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Mauritanie, ainsi que des associations issues de l’immigration maghrébine dans les pays de l’UE. Cette assemblée semble être la première et la dernière puisque la plupart des intervenants, dans l’atelier « agenda », ont préféré aller droit vers le forum, tout en laissant du temps aux dynamiques nationales pour se construire.
Une date a été proposée, mai 2007, mais pas le lieu. C’est le comité de pilotage "élargi" qui décidera sur la base des dossiers de candidature. On en revient donc là encore à un même comité restreint qui décide à la place des autres !
Six mois après l’assemblée préparatoire, les informations ne circulent plus et on ne sait pas si ce FSMaghreb aura lieu, ni où, ni même comment il se prépare, et moins encore où va le « mouvement altermondialiste maghrébin ».
Les luttes sociales dans différentes villes du Maroc (Tata, Sidi Ifni, Bengrir...) qui se situent sur le terrain de l’anti-libéralisme (contre les privatisations des services publics et pour le droit aux soins, à l’emploi et à une vie digne), témoignent que c’est plutôt par d’autres canaux que passe l’altermondialisme au Maghreb.
Notes:
[1] Usages et enjeux nationaux de l’"anti-mondialisation" : comment le "mouvement" prend pied au Maroc, Eric Cheyris, colloque "Les mobilisations altermondialistes", 3-5 décembre 2003.
[2] Fondé en 1996, l’Espace associatif a pour objectifs, notamment, l’information, la formation, le renforcement institutionnel et le conseil des associations.
[3] Association marocaine de Solidarité et de Développement, créée en 1993. Elle intervient plus particulièrement dans le monde rural.
[4] Parti du Progrès et du Socialisme, l’ex-parti communiste marocain.
[5] Centre d’Etudes et de Recherches Aziz Belal, proche du PPS.
[6] Association nationale des Diplômés chômeurs au Maroc.
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Migrations, droit d’asile et Partenariats euro-africains : les mains sales du libéralisme
par Lucile Daumas
Le lundi 12 juin, il y avait foule au cimetière de Rabat, au Maroc pour enterrer Ali Lukumbo Zimbongo. Coco di Coco, comme l’appelait ses amis, était un Congolais qui avait fui la guerre, les massacres et le régime de Kabila. Bloqué au Maroc comme des dizaines de ses compatriotes devant des frontières infranchissables, il ne se faisait guère d’illusions sur la demande d’asile déposée auprès du Haut Commisariat aux Réfugiés (HCR) à Rabat. En effet, la carte de réfugié délivrée parcimonieusement par le HCR au Maroc n’est reconnue par aucun pays, pas même par le Maroc : elle ne donne droit ni à une carte de séjour, ni à une carte de travail, ni à l’accès à l’hôpital ou à l’école pour les enfants. Un simple papier déchiré à la première rafle de police.
Les Etats européens ont ainsi vidé de tout sens cet instrument de protection des personnes persécutées et pourchassées qu’est le droit d’asile : en externalisant la demande d’asile dans des bureaux du HCR placés aux frontières de l’Europe, ils empêchent le demandeur d’asile de formuler sa demande auprès du pays de son choix. Le HCR délivre alors un statut en monnaie de singe qui n’a de valeur nulle part. Et les pays bons voisins de l’Europe se transforment en salles d’attente devant une porte verrouillée à triple tour [1].
Ali était donc un simple demandeur d’asile auprès de nulle part qui, un jour, est tombé malade. Chose prévisible étant données les conditions d’insalubrité dans lesquelles logent les migrants au Maroc, aux prises avec les marchands de sommeil. Il s’est présenté à l’hôpital, mais en ces temps de libéralisme, l’hôpital marocain, naguère gratuit pour les indigents, est devenu payant pour tout le monde. Ali a été renvoyé chez lui avec de bonnes paroles. Et il est mort. Ni l’Etat marocain, ni le HCR, ni l’Eglise, ni l’Ambassade de son pays n’ont pu ou voulu prendre en charge ses obsèques. Citoyen de nulle part, son corps aurait dû finir dans une fosse commune, n’eût été l’opiniâtreté de ses compatriotes, malgré leur grand dénuement, à lui offrir un enterrement de star. Une façon pour eux de revendiquer le droit de vivre et mourir dignement.
Le Maroc sous-traite les flux migratoires à la demande de l’Europe
On se souvient des évènements dramatiques de septembre-octobre 2005 aux frontières de Ceuta et Melilla, les migrants prenant d’assaut les grillages frontaliers et tués à balles réelles ; les autocars lâchant les migrants à la frontière algérienne au milieu du désert et des champs de mines ; l’errance dans le plateau pierreux, les centaines de kilomètres couverts à pied pour rejoindre les villes du Maroc ou du Mali.
La collusion entre les autorités marocaines et les gouvernements européens, alors patente, s’est à nouveau confirmée lors de l’assassinat par balles de cinq migrants à Melilla, le 3 juillet 2006, à quelques jours d’une Conférence des gouvernements euro-africains sur les migrations tenue à Rabat.
Depuis 1998 en effet, l’Europe assigne aux pays du Maghreb le rôle de sous-traitants dans la lutte contre l’émigration :
— collaboration en matière de sécurité et de contrôle des frontières et eaux territoriales,
— nouvelles lois sur les étrangers, calquées sur les modèles européens,
— réadmission de leurs propres ressortissants et des migrants en transit [2].
L’amalgame entre migration et terrorisme sert aussi de prétexte à une coopération militaire avec l’ensemble des pays de la région, dans le cadre de « l’Initiative américaine transsaharienne de lutte contre le terrorisme » ou de l’OTAN.
Actuellement, réfugiés politiques et migrants économiques, subsahariens ou marocains, sont tous logés à la même enseigne : pour passer les portes d’une Europe verrouillée, il faut payer les mafias et trafiquants qui s’enrichissent sur la misère des autres. Du coup, les routes de l’émigration se font plus longues et plus mortifères. Le Détroit de Gibraltar étant fermé, des goulots d’étranglement se forment ailleurs, augmentant la dangerosité des trajets : les noyades se multiplient au large des Canaries. Les gouvernements européens pressent l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest à participer à la chasse aux migrants et à signer des accords de réadmission. Cela fait partie des conditionnalités mises au déblocage des aides au développement !
Partenaire ou « bon voisin » ?
En 1995, un Sommet des Etats méditerranéens annonçait la naissance du Partenariat euro-méditerranéen qui se donnait pour but de faire de la Méditerranée un espace de dialogue, d’échange et de coopération qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité. Au printemps 2003, alors que l’Europe s’élargissait à 25, un nouveau concept était créé, celui de Bon voisinage. Le glissement du vocable de partenaire à celui de voisin illustre bien l’idéologie dominante d’une Europe égoïste, enfermée dans ses frontières Schengen, préoccupée de délimiter son espace et de le sécuriser, imprégnée d’idéologie xénophobe et enfermée dans la logique du profit immédiat.
L’Europe crie à l’invasion, mais on sait que sur les 191 millions de migrants recensés de par le monde, la répartition selon les pays d’origine s’organise comme suit : un tiers environ a quitté un pays développé pour un autre (chaque pays étant pays d’immigration et d’émigration), un tiers va d’un pays non développé vers un autre et le troisième tiers seulement va du Sud vers le Nord [3]. Les pays les plus riches de la planète n’accueillent ainsi qu’un tiers des migrations venues du Sud, une part importante étant constituée d’étudiants et de travailleurs saisonniers.
Le nombre des réfugiés, lui, est en baisse constante, du fait de l’impossibilité pour la plupart d’entre eux de déposer leur demande dans le pays de leur choix. Sur les 13,5 millions de réfugiés recensés en 2005, seulement 2,6 millions vivent dans les pays développés. L’Afrique à elle seule en abrite 3 millions [4]. Ce sont les pays limitrophes des zones de conflits et de non-droit qui en accueillent la majorité, malgré la faiblesse de leurs capacités. Dans le même temps, l’Europe qui attise en sous-main la permanence des conflits et est largement impliquée dans la perpétuation de régimes non démocratiques, externalise les procédures de demande d’asile avec la complicité du HCR et en l’absence de condition minimales d’accueil dans les pays-tampons. C’est ce qui a coûté la vie à notre ami Ali.
Les demandeurs d’asile ne sont pas les seuls à venir s’échouer devant les murs de la Forteresse Europe. En effet, les accords de partenariat signés avec les pays africains, à partir de 2000, dans le cadre des accords de Cotonou, organisent l’insertion en force de l’Afrique dans le marché mondial. Conséquence : non seulement l’Afrique est loin de pouvoir rattraper un jour le niveau de vie des pays développés, mais l’écart, depuis les années 1980, se creuse et certains pays connaissent même un recul net du PIB par habitant, tandis que les bénéfices des multinationales fructifient et sont rapatriés.
L’Europe dépense des milliards d’euros à financer des systèmes de protection de ses frontières [5] totalement illusoires devant l’extension de la pauvreté. Les alternatives sont pourtant évidentes : annulation de la dette, arrêt du pillage des ressources naturelles, protection d’économies fragilisées, développement des services sociaux, démocratisation de la vie publique sont les mesures qui en forment le socle principal. L’inverse de ce qui est mis en œuvre. L’Europe sait aussi que dans 5 ou 10 ans au plus, le déficit démographique et le vieillissement de sa population l’obligeront à faire un appel massif à des travailleurs migrants, toutes catégories confondues.
Quel sens ont alors toutes ces souffrances humaines ?
Probablement celui de précariser dès aujourd’hui les candidats à un emploi en Europe pour avoir une main d’œuvre corvéable et jetable à merci. C’est le sens de la loi Sarkozy en France dans le cadre de ce qu’il nomme l’immigration choisie. Choisie en fonction des seuls besoins de l’économie libérale européenne, selon une vision exclusivement utilitariste de la personne humaine, privée désormais du droit à vivre en couple, fonder une famille et circuler librement.
La complicité des Etats d’Afrique du Nord depuis le Maroc jusqu’à la Libye et l’Egypte en dit long sur le degré de compromission de leurs classes dirigeantes qui font peu de cas de leurs propres ressortissants également victimes de ces politiques et foulent au pied les solidarités africaines en échange du titre aussi pompeux qu’inutile de « Bon Voisin » octroyé par une Europe plus verrouillée que jamais.
La SIRGA : la machine infernale à broyer du migrant
Depuis mars 2006, une nouvelle barrière est en construction entre le Maroc et l’enclave de Melilla, à l’endroit même où, en septembre 2005, plusieurs personnes ont péri en tentant d’escalader la frontière. C’est la SIRGA tridimensionnelle [6].
Constituée d’une triple rangée de grillages, elle est précédée d’un réseau de câbles incliné de 10 degré vers le Maroc destiné à empêcher l’appui des échelles de bois utilisées par les « escaladeurs ».
Entre chaque rangée de grillage, un nouveau réseau de câbles. Une alarme s’active sous le poids et de l’eau pimentée sous pression (sic) est projetée sur celui qui tombe dans ce piège pendant que des spots très puissants l’aveuglent. Ce système est complété par des radars et des video-caméras permettant à la Guardia Civil de surveiller jusqu’à deux kilomètres de distance à l’intérieur du territoire marocain.
Côté marocain, un campement militaire chaque 100 mètres et un militaire armé chaque 10 mètres permettent de contrôler la zone frontalière et de fouiller, à l’aide de chiens, les forêts environnantes.
Un projet de plus de 20 millions d’euros qui, dit-on, intéresse fort les Etats-Unis d’Amérique pour renforcer leur frontière avec le Mexique.
Les organisations d’Europe et d’Afrique se concertent et s’expriment sur les migrations, les droits fondamentaux et la liberté de circulation
Depuis plusieurs années déjà, l’Europe, en sous-traitant la gestion de ses frontières, impose une coopération sécuritaire et répressive à ses « partenaires » africains. C’est cette vision qui sous-tend la rencontre euro-africaine des gouvernements tenue les 10 et 11 juillet 2006 à Rabat au Maroc.
Contre cette dérive, près de 200 représentants d’organisations d’Afrique Subsaharienne, du Maghreb et d’Europe, réunis les 30 juin et 1er juillet 2006 en Conférence Non Gouvernementale Euro-Africaine près de Rabat, ont adopté le « Manifeste de Rabat sur les migrations, les droits fondamentaux et la liberté de circulation » et appellent les gouvernements à surmonter leurs phantasmes xénophobes d’envahissement et à replacer le respect des droits humains fondamentaux au cœur des politiques migratoires.
Dénonçant « la guerre aux migrants qui s’amplifie le long des côtes méditerranéennes et atlantiques », le Manifeste de Rabat rappelle que la liberté de circulation est un droit énoncé dans l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui signifie nécessairement celui de pouvoir s’installer dans un autre pays et demande la suppression des visas de court séjour. Il exige l’annulation des accords de réadmission de personnes expulsées et la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs famille ».
Refusant que la co-gestion des flux migratoires constitue une conditionnalité imposée aux pays africains dans les négociations internationales, il revendique le respect effectif du droit au développement passant notamment par la remise à plat des accords de partenariat qui perpétuent le déséquilibre Nord/Sud et hypothèquent l’avenir de l’agriculture africaine. Ils exigent l’annulation inconditionnelle de la dette des pays du Sud et le rapatriement de leurs avoirs placés dans des banques étrangères.
Texte intégral du Manifeste de Rabat : www.maroc.attac.org ou www.migreurop.org.
Notes:
[1] Le nombre de réfugiés réinstallés par les bons soins du HCR dans un pays d’accueil est tellement dérisoire que cette réinstallation a plus valeur de « carotte » que de réelle procédure de protection.
[2] Les Etats maghrébins renâclent à signer les accords de réadmission que l’Union européenne les somme d’accepter. Le point d’achoppement est surtout celui des migrants ayant transité par leur territoire. Mais des accords bilatéraux de réadmission existent déjà et maintes réadmissions, y compris d’étrangers tiers, sont réalisées, sous pression européenne.
[3] Kofi Annan. Migrations internationales et développement : rapport du secrétaire général à la soixantième session de l’Assemblée générale des Nations unies. 18 mai 2006. pp. 13 et 7
[4] Ibid. p.46
[5] Ainsi, le Système intégré de vigilance extérieur (SIVE) mis en place depuis 2002 le long des côtes espagnoles, îles Canaries incluses a un coût évalué à 260 millions d’euros : il comprend 25 stations de détection, une douzaine de radars mobiles et des dizaines d’unités de patrouilleurs. Cf. Le Maroc, l’Union européenne et l’Espagne dans le domaine de l’asile et du contrôle des flux migratoires. Amnesty International, 2005.
[6] Sirga : corde en espagnol
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Initiatives PPTE et allègement de la dette - nouveau mécanisme de subordination des pays pauvres
par Faustin Kuediasala
Le problème de la dette excessive des Pays pauvres très endettés (PPTE) met désormais en danger le système des paiements internationaux.
Diverses solutions de traitement de la dette extérieure de ces pays ont été successivement mises en place visant à limiter les pertes pour les créanciers sans exclure les PPTE de la communauté internationale. Le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), une Ong européenne, a posé une fois de plus, dans son dernier bulletin d’information, des questions sur le mécanisme mis en place par la communauté financière internationale pour rendre « soutenable » — selon leurs termes — le poids de la dette extérieure dans les pays en développement. Dans une analyse proposée par Barry Aminata Touré [1], le CADTM pense que, un an après le sommet du G8 à Edimbourg, le développement des pays pauvres accentué par le poids de la dette et des politiques néo-libérales doit se faire par une annulation à 100% de la dette extérieure et l’établissement d’un partenariat équitable entre les pays du nord et ceux du sud.
La communauté internationale a pris conscience du fait que le problème de la dette extérieure des pays très pauvres et très endettés (PPTE) doit être résolu dans l’intérêt de tous. Depuis deux décennies, des politiques de rééchelonnement et d’annulation partielle ont été mises en oeuvre. Le sommet de Cologne (1999) a défini une nouvelle initiative visant à annuler les dettes insoutenables : « l’Initiative renforcée sur la dette des PPTE ». Celle-ci implique un nouveau coût pour les créanciers et un risque de ralentissement de l’aide publique au développement future.
Bien avant, au sommet du G8 à Toronto en 1988, les pays riches ont reconnu que la dette est un problème pour les pays du Sud. Dans le but de rétablir les équilibres macro-économiques, le Fonds monétaire international (FMI) fut la première institution financière internationale à imposer à nos pays un Plan d’ajustement structurel (PAS) dont l’objectif est « de redresser, de stabiliser et d’assainir la situation économique et financière du pays ».
Ensuite ce fut la Banque mondiale qui est venue en appoint par le financement des programmes de développement. Un constat dans ces différents programmes est que les priorités s’appuient sur les concepts de croissance, de libéralisation, de désengagement de l’Etat, de privatisation, d’intégration régionale et d’ouverture sur le marché mondial, en s’appuyant sur le modèle néo-libéral sans pourtant permettre de relancer cette croissance et de réduire le déficit budgétaire de l’Etat.
VIEILLES PROMESSES DU G8
En juin 1999 au G7 de Cologne, les argentiers du monde s’étaient engagés à répondre positivement à la pétition de 17 millions de signatures (la plus grande de toute l’histoire de l’Humanité) déposée par la coalition Jubilé 2000 : 90% de la dette des pays pauvres devaient être annulés au cours de l’année 2000, grâce à l’application de l’initiative PPTE. L’effort annoncé s’élevait à 100 milliards de dollars. Plusieurs pays annoncèrent jusqu’à 100% d’annulation. Pourtant, derrière ses effets d’annonce se cache une initiative complexe n’aboutissant pas à une réduction significative de l’endettement et de la pauvreté des pays pauvres.
La dette étant reconnue comme un problème pour les pays pauvres, le Club de Paris et les pays riches sont allés jusqu’à élaborer quelques mesures d’allègement et de ré-échelonnement qui se sont par la suite avérées insuffisantes. La dernière trouvaille est l’Initiative en faveur des Pays pauvres très endettés, dont le format révisé, dit renforcé, date de 1999. A ses côtés, l’on retrouve le FMI et la Banque mondiale avec leur Facilité de croissance et de réduction de la pauvreté.
En 2005, le sommet du G8 de Gleneagles annonçait une initiative « historique » d’annulation de la dette de certains pays pauvres envers la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement (BAD). Cette annonce concernait 17 pays : 13 en Afrique et 4 en Amérique Latine.
Un an plus tard, on est loin du compte. Des discussions importantes sur les détails de l’opération ont fait l’objet au sein du FMI (qui a arrêté sa décision pour le 21 décembre 2005), la Banque africaine de développement (19 avril 2006) et la Banque mondiale (le 21 avril 2006).
Alors que le ministre britannique des Finances Gordon Brown avait rassuré le 11 juin 2005 que les 40 milliards de dette seraient immédiatement effacées, le FMI a fait 6 mois pour prendre une décision ; les créanciers les plus importants : la Banque mondiale et la BAD ont attendu dix (10) mois. C’est le 1er juillet 2006, date de mise en oeuvre de leurs annonces excluant les dettes de l’année 2004, réduisant ainsi de 5 milliards de dollars le montant à annuler.
Au final, force est de constater que cette initiative ne résout rien et s’inscrit dans le prolongement de l’initiative PPTE et comporte les mêmes limites.
On ne sait plus quel serait le montant réel à annuler et pendant combien de temps les pays pourront en bénéficier. En juin 2005 le G8 annonçait l’annulation de 55 milliards Usd de dette multilatérale, mais un an après, le G8 à travers ses institutions financières internationales ont réduit le montant de 5 millions de dollars environ. Les produits s’étaleront sur plusieurs dizaines d’années concernant les prêts de la Banque mondiale et la BAD. Elle va déboucher sur une réduction des remboursements de dette sur les 40 prochaines années pour les 19 pays concernés.
A St Petersbourg (Russie), le sommet du G8 va notamment chercher à avancer vers un accord sur le cycle de Doha en discussion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cycle imposant une libéralisation accrue de l’économie mondiale et pénalisant durement les pays les plus pauvres contraints de se soumettre davantage aux intérêts des plus puissants. Le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, a même écrit aux dirigeants du G8 et des 5 pays en développement pour leur demander avec fermeté d’inclure ces points dans les discussions.
Certaines réflexions sur les enjeux géostratégiques (Iran, Liban, Corée du Nord...), énergétiques (pétrole, gaz naturel...) et commerciaux (cycle de Doha, adhésion prochaine de la Russie à l’OMC) sont les priorités des pays du G8 bien plus que les problèmes de dette dont ils reconnaissent son impact en terme d’un handicap pour le développement socio-économique de nos pays.
Les derniers chiffres publiés par la Banque mondiale montrent une dette extérieure des pays en développement beaucoup plus élevée qu’avant : 2800 milliards de dollars.
Cela n’empêche au G8 d’organiser la poursuite de la main mise du FMI et de la Banque Mondiale sur l’économie des pays du Sud, rendant impossible toute forme de développement juste et durable.
DES RESULTATS MITIGES
De plus en plus, des analystes reconnaissant unanimement que la dette constitue un outil de subordination et de domination des pays en développement par les pays riches. Des réflexions se multiplient pour aider les pays du tiers-monde à sortir du cercle vicieux des mécanismes d’annulation de la dette élaborés dans des laboratoires occidentaux.
Comment rompre avec la dépendance financière par rapport au nord et mettre en place une autre logique économique, respectueuse de l’être humain et de son environnement ? N’est-il le moment d’instaurer un audit de la dette extérieure des pays en développement pour mieux circonscrire le problème et trouver des solutions appropriées ?
Il est temps peut-être de réfléchir sur la construction des partenariats équitables entre le Nord et le Sud.
Les critiques sont multiples quant à l’efficacité de l’initiative PPTE depuis son adoption par le G8. Début 2001, seuls 22 pays ont été réellement pris en considération. Concrètement, seul l’Ouganda a atteint jusqu’ici le terme des deux phases de réformes et a reçu un allégement de 2 milliards de dollars (ce qui représente 0,1% de la dette du Tiers Monde). Même en se projetant dans l’avenir et en prenant en compte l’ensemble des 22 pays « éligibles » pour un allégement, seuls 15% de la dette des PPTE (soit 1,6% de la dette du Tiers Monde) seront au mieux annulés. La pauvreté n’est pas susceptible de diminuer dans de telles conditions
Selon la Conférence des Nations Unies pour le développement économique (CNUCED), « Les espoirs que l’on fonde actuellement sur la mise en oeuvre de l’initiative renforcée en faveur des Pays pauvres très endettés ne sont pas réalistes. L’allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme ( ) ; par ailleurs, l’ampleur de l’allégement de la dette et la manière dont il interviendra n’auront pas d’effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté »..
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ne pense le contraire lorsqu’il dit : « La dette continue d’être un frein au développement humain et à la réalisation des droits de l’homme. ( ) L’initiative d’annuler le service de la dette en faveur des Pays pauvres très endettés n’a jusqu’ici eu qu’un impact limité. ( ) De nouvelles mesures, introduites en 1999, cherchent à fournir un allégement plus rapide et plus important en visant la réduction de la pauvreté. L’allégement de la dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses. Il est urgent que la mise en place de ces programmes s’accélère dans tous les pays et que de nouvelles initiatives soient mises en oeuvre pour que la réduction de la dette ait une incidence sur le développement humain ».
Notes:
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La rupture comme issue
par Éric Toussaint
La liste des gouvernements issus de coups d’État militaires et soutenus par la Banque mondiale est impressionnante.
Parmi les exemples les plus connus, citons la dictature du Shah d’Iran après le renversement du Premier ministre Mossadegh en 1953, la dictature militaire au Guatemala mise en place par les États-Unis après le renversement du président démocratique de Jacobo Arbenz en 1954, celle des Duvalier en Haïti à partir de 1957, la dictature du général Park Chung Hee en Corée du Sud à partir de 1961, la dictature des généraux brésiliens à partir de 1964, celle de Mobutu au Congo et de Suharto en Indonésie à partir de 1965, celle des militaires en Thaïlande à partir de 1966, celle de Idi Amin Dada en Ouganda et du général Hugo Banzer en Bolivie en 1971, celle de Ferdinand Marcos aux Philippines à partir de 1972, celle de Augusto Pinochet au Chili, celle des généraux uruguayens et celle de Habyarimana au Rwanda à partir de 1973, la junte militaire argentine à partir de 1976, le régime d’Arap Moi au Kenya à partir de 1978, la dictature au Pakistan à partir de 1978, le coup d’État de Saddam Hussein en 1979 et la dictature militaire turque à partir de 1980.
Parmi les autres dictatures soutenues par la Banque mondiale, notons encore celle des Somoza au Nicaragua et celle de Ceaucescu en Roumanie.
Certaines sont encore en place aujourd’hui : le régime dictatorial chinois, la dictature de Déby au Tchad, celle de Ben Ali en Tunisie, celle de Musharaf au Pakistan, et tant d’autres...
Il faut aussi rappeler le soutien aux dictatures en Europe : le général Franco en Espagne, le général Salazar au Portugal [1].
Très clairement, la Banque mondiale a soutenu méthodiquement des régimes despotiques issus ou non de coups de force, menant une politique antisociale et commettant des crimes contre l’humanité. La Banque a fait preuve d