par Gideon Lévy
Le Ministre de la Défense, Ehoud Barak, au rassemblement d’hier. Photo : T. Appelbaum
Le groupe de chanteuses « HaBanot Nechama » n’en était pas, l’an dernier. La découverte de l’année, maintenant récompensée d’un disque d’or, a
rejoint hier soir Aharon Barnéa, Shimon Peres, Aviv Gefen, Achinoam Nini et Sarit Haddad – la bande attitrée de ces rassemblements du souvenir. L’an passé, l’écrivain David Grossman, qui venait
de perdre son fils [lors de la guerre au Liban - ndt] était venu à la tribune et avait tonné contre nos dirigeants creux et, un court instant, les cœurs avaient été en émoi ; hier soir,
place Rabin, il n’y a pas eu le moindre orateur, pas d’écrivain ni d’intellectuel, pour dire quelque chose de significatif dans le vide de ce rassemblement à la mémoire d’Yitzhak Rabin qui
ressemblait par dessus tout à un concert-rassemblement du groupe « Kaveret » à la fin de l’été à Césarée. Le public ? Toujours le même : ashkenaze,
laïc, de gauche et pour la paix – tel qu’il se voit lui-même. Qu’il est doux et agréable d’être là une fois par an, sur la place Rabin, et de sentir que l’on fait partie de cette famille
chaleureuse, avec dans le fond d’excellentes chansons en hébreu et un casting mis à jour par l’adjonction de l’un des humoristes de « HaGashash HaHiver », Shaike
Lévy, tout juste orphelin [par le décès d’un des trois humoristes quelques jours plus tôt - ndt], et venu chanter « L’amitié ».
Tous se sont réveillés hier soir, revenant un instant à la vie après un an de léthargie : la Paix Maintenant, le parti Travailliste, le Meretz, « Hashomer
Hatzaïr » et « HaNoar Haoved vehaLomed » (la jeunesse laborieuse et studieuse - ndt) dont les chemises bleues ont reparu un moment, hier soir. Aharon
Barnea a de nouveau revêtu l’habit du prophète de la colère qu’il endosse une fois l’an, début novembre : « Nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons
pas », a-t-il tonné en notre nom à tous, en un slogan qui accompagnait autrefois les rassemblements de commémoration du génocide. « Soyez tranquilles, il y aura la paix », a
promis le présentateur de la principale édition du journal télévisé, et s’il le promet, c’est sûr qu’il y aura la paix. Hier soir, les clichés ont inondé la place Rabin : « l’espoir », « l’héritage », « la victoire » et « la paix », nul ne sait ce que
ces mots signifient au juste.
Place Rabin à Tel Aviv. Quelque 150.000 personnes ont pris part au rassemblement, revenant un instant à la vie après un an de léthargie.
La place était couverte aussi de ballons blancs. Le blanc, c’est la paix. De temps en temps, un ballon éclatait ; de temps en temps, un ballon s’échappait et s’élevait dans le ciel noir de
Tel Aviv. Un hélicoptère aussi et un ballon de surveillance survolaient les lieux, exactement comme ils le font en permanence dans le ciel de Gaza, qui n’avait jamais été aussi éloigné qu’hier
soir de ces rassemblements pour la paix. Lorsqu’Ehoud Barak a dit que « l’héritage d’Yitzhak Rabin vit et s’agite en nous », songeait-il au black-out de Gaza et à
l’affamement qu’il a lui-même orchestrés ? Personne n’a parlé de cela, hier. Personne n’ont plus n’a fait mention du nom ineffable – Yigal Amir – Satan parmi le peuple, en dépit du fait que
son esprit, et surtout sa progéniture [l’épouse d’Yigal Amir vient de donner naissance à un fils - ndt], flottaient en permanence dans l’air. Les seuls applaudissements soutenus ont été gagnés
par le Ministre de la Défense [Ehoud Barak] lorsqu’il a promis, on ne sait trop par quelle autorité, que « sa peine ne sera pas raccourcie, il ne sera pas amnistié et les
portes de la prison resteront fermées sur lui jusqu’à son dernier jour ».
Le fils de Rabin, Youval, revenu d’un long séjour aux Etats-Unis, a lui aussi parlé abondamment de l’assassin sans pour autant (le ciel nous préserve !) l’appeler par son nom : il nous
a invités à être un Etat de droit, tout en faisant une sortie contre la décision légale d’un tribunal israélien d’autoriser la tenue en prison de la cérémonie de la circoncision [du fils d’Yigal
Amir - ndt]. Comme il est facile de s’unir contre Yigal Amir, le plus petit dénominateur commun du camp de la Gauche.
« Nous te le promettons : ta voie sera victorieuse », a dit Barak, sorti hier soir de l’armoire : pour la première fois, il a clairement prononcé le mot Annapolis, le disant
même porteur d’une « promesse » et non d’une « menace », espérant que ce sera « une réussite »,
contrairement aux mauvaises rumeurs : cela aussi, c’est quelque chose, dans un rassemblement pour le souvenir et pour la paix !
Un an a passé depuis le discours de Grossman sur les dirigeants creux, et rien n’a changé. Les dirigeants sont les mêmes, aussi creux qu’ils l’étaient et que l’est tout ce battage, ce verbiage
sur « l’héritage de Rabin » et sur la paix. La jeunesse aux bougies qui était venue gémir amèrement sur cette même place [il y a 12 ans - ndt], est devenue adulte
et a disparu, emportée par le vent et la haute technologie. A sa place, sont apparus de nouveaux jeunes gens en chemises bleues, qui n’étaient que de petits enfants le soir de l’assassinat.
Shimon Peres leur a raconté qu’Yitzhak avait pensé à eux, seulement à eux, et eux aussi bien sûr pensent maintenant que la seule chose terrible qui soit jamais arrivée ici, c’est cet assassinat
odieux.
Salut l’ami, salut la paix, à l’année prochaine, avec le même laïus creux, le même Gaza emprisonné et affamé, et les mêmes chanteurs, avec en outre ceux qui
auront décroché eux aussi, l’an prochain, des disques d’or et qui se joindront à la chorale.
(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)
Version anglaise : Rabin memorial offers pop stars and empty cliches
haaretz.co.il
Article imprimé à partir du site de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple
Palestinien
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Pour les journalistes israéliens, la bande de Gaza n’a jamais été un territoire aussi lointain. Qu’ils soient juifs ou arabes, l’armée israélienne les empêche, depuis un an, d’y pénétrer, pour
des raisons de "sécurité".
Reçu de Manon
par Benjamin Barthe
La poignée de courageux qui, en dépit de l’Intifada et de l’anarchie locale, persistaient à franchir le terminal d’Erez, portail de la bande côtière palestinienne, sont désormais interdits de
"terrain". La mesure concerne aussi une cinquantaine de correspondants de médias étrangers qui disposent également de la nationalité israélienne.
Gaza, déclarée "entité hostile" par l’Etat juif, est devenue une entité fantôme. "En novembre 2006, quand l’armée m’a refoulé pour la première fois, le
porte-parole évoquait des risques d’enlèvement", explique le journaliste Gideon Levy, qui signe chaque semaine, dans le quotidien Haaretz, un reportage "coup de poing"
sur la vie dans les territoires occupés. "Cette mesure, qui devait être temporaire, est en train de devenir permanente. Et, le pire, c’est que la profession ne s’en émeut même
pas", ajoute-t-il.
De fait, le syndicat des journalistes israéliens ne trouve rien à redire à cet embargo médiatique. "Dans la période actuelle, les journalistes doivent obéir aux forces de
sécurité, assure Yossi Barmucha, un responsable du syndicat. Si je lance une campagne de protestation au nom de la liberté de la presse et que, dans les jours qui suivent, un confrère est
kidnappé à Gaza, vous imaginez ma situation ?" Shlomi Eldar, le reporter casse-cou de la chaîne de télévision 10, se refuse, lui aussi, à critiquer l’armée. "Je
désapprouve cette décision, mais je peux la comprendre, dit-il. Depuis mon premier reportage à Gaza, en 1991, je m’y suis toujours senti en sécurité. Les seuls problèmes que j’ai rencontrés sont
d’ailleurs venus de l’armée, qui, en 2003, a blessé par balle mon cameraman. Mais, aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliquée. C’est le balagan (chaos), comme on dit chez nous. Entre
le Fatah, le Hamas, le Djihad islamique et les clans armés jusqu’aux dents, il n’est pas déraisonnable d’imaginer qu’un Israélien puisse se faire enlever."
Gideon Levy, franc-tireur patenté de la presse israélienne, est d’un avis rigoureusement contraire. Il estime que la prise du pouvoir par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), en juin,
a obligé les gangs qui semaient le chaos à rentrer dans le rang et que, de ce fait, les risques y sont bien moindres qu’au printemps. Comme Shlomi Eldar, il doit à l’armée israélienne le seul
moment véritablement dangereux de sa carrière : quand une balle a traversé le pare-brise de sa voiture à Tulkarem, en Cisjordanie, en 2003. "Personne ne m’a empêché d’aller
couvrir la guerre à Sarajevo parce que c’était risqué, dit-il. Il y a des dangers à Gaza, c’est évident, mais cela fait partie de notre travail. Et d’ailleurs, avant de rentrer là-bas, nous
signions toujours une décharge qui exemptait l’armée de toute responsabilité."
Selon Gideon Levy, le veto de l’armée israélienne, inchangé depuis un an, relève de la censure déguisée. "Cette décision fait l’affaire des généraux, du gouvernement, des patrons
de journaux et même des lecteurs, qui n’ont aucune envie d’entendre parler de la misère qui règne à Gaza", affirme-t-il.
Suleiman Al-Shafi, journaliste pour la chaîne 2, partage ce point de vue. "Je connais chaque pierre de Gaza, où je me sens parfaitement en sécurité. L’armée cherche à contrôler
les médias pour mieux faire passer "sa" vérité", juge-t-il.
De son côté, Amira Hass, l’autre expert ès affaires palestiniennes du quotidien Haaretz, impute le blocage à l’attitude de la presse en général. Dès le début de l’Intifada, en 2000, elle a eu
besoin des coups de téléphone de sa hiérarchie à l’état-major pour obtenir le droit de traverser le point de contrôle d’Erez. Un soutien qui, aujourd’hui, lui fait défaut. "Le
problème tient moins aux ordres de l’armée qu’au manque de volonté des médias de s’y opposer et de couvrir la réalité de Gaza, affirme-t-elle. Ils se comportent comme si ce territoire n’existait
pas, comme si, depuis le désengagement (israélien de 2005), l’occupation en avait disparu."
Les reporters israéliens couvrent donc Gaza à distance : par téléphone, à l’aide des dépêches d’agences et grâce aux images envoyées par leurs collaborateurs palestiniens. Un traitement par
défaut qui les frustre d’autant plus que, entre le coup de force du Hamas et le blocus économique imposé par Israël, la situation sur place n’a jamais été aussi critique. "Le
Hamas est en train de créer un Etat, un Etat stupide qui va dans le sens des plans de l’armée, visant à couper Gaza de la Cisjordanie, et nous sommes incapables de couvrir cette histoire",
soupire Amira Hass.
Si Israël, comme le ministre de la défense Ehoud Barak l’a évoqué, met à exécution sa menace d’offensive contre Gaza, la presse israélienne risque de rater une autre histoire. Ou presque :
les seuls témoins seront les correspondants militaires "embedded" (embarqués) dans les blindés de l’armée.
Quant aux journalistes palestiniens, quand ils ne sont pas pris pour cible par l’armée d’occupation, ils sont, selon le correspondant du Monde en Palestine,"entre deux
feux" :
Publier ou ne pas publier : telle est la question qui se pose chaque jour aux journalistes palestiniens à Gaza, coincés entre les injonctions du gouvernement pro-Fatah de Ramallah et les
menaces de l’ex-cabinet Hamas. Hisham Saqalah, rédacteur en chef du site d’information Al-Rassed Al-Alami, avait choisi, lui, de publier. Son article portait sur la prise de contrôle d’un stade
par des miliciens islamistes. Représailles immédiates : mardi 6 novembre, des hommes armés ont confisqué son ordinateur, ses archives, son téléphone portable et des dizaines de CD.
Cet incident est le dernier en date d’une longue liste. Depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, Reporters sans frontières (RSF) a recensé neuf agressions de journalistes par
la Force exécutive, la police des islamistes, et plus d’une vingtaine d’interpellations. "Personne n’a oublié comment les journalistes qui couvraient les manifestations
anti-Hamas de cet été ont été molestés, dit Saud Abou Ramadan, correspondant de plusieurs médias internationaux. Nous ignorons toute une série d’informations pour éviter les menaces téléphoniques
au milieu de la nuit."
Pour accroître son contrôle des médias, le Hamas exige désormais de leurs membres qu’ils obtiennent une carte de presse délivrée par "son" ministère de l’information. Sans
ce document, pas moyen d’accéder aux conférences de presse patronnées par les nouveaux maîtres de Gaza. "C’est un véritable casse-tête, dit Shadi Al-Kashef, cameraman de
l’agence Ramattan, car, de l’autre côté, le gouvernement de Ramallah menace de fermer nos bureaux en Cisjordanie si nous nous conformons aux exigences du Hamas."
En Cisjordanie, la situation est à peine plus enviable. Lundi, à Hébron, deux employés de la chaîne Al-Aqsa, la vitrine télévisée du Hamas, ont été arrêtés par les forces de sécurité et
emprisonnés. "Les journalistes figurent parmi les premières victimes de l’affrontement entre les deux factions", déplore RSF. [1]
[1] Article de B. Barthe : lemonde.fr
Article imprimé à partir du site de l’Association France Palestine Solidarité