Rapport sur les Droits de l'Homme
La Tunisie est une république constitutionnelle comptant quelque dix millions d’habitants, qui est dominée par un seul parti politique, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). M. Zine El Abidine Ben Ali en assure la présidence depuis 1987. Lors de l’élection présidentielle tenue en 2004, le président Ben Ali s’était présenté contre trois candidats de l’opposition et il avait remporté le scrutin avec environ 94 % des suffrages. Le taux de participation avait dépassé les 90 %, encore que de l’avis d’observateurs ces chiffres soient considérablement exagérés. Au cours des élections législatives qui s’étaient déroulées en même temps, le RCD avait remporté 152 des 189 sièges à pourvoir. Les élections indirectes de 2005 pour la Chambre des conseillers, l’un des deux organes législatifs du pays, avait donné une large majorité au RCD. En règle générale, les autorités civiles exercent un contrôle effectif sur les forces de l’ordre.
Le droit des citoyens de changer leur gouvernement a été assorti de restrictions importantes. Selon des organisations non gouvernementales (ONG) tant nationales qu’internationales, les forces de sécurité auraient torturé ou maltraité des personnes incarcérées ou détenues et elles auraient procédé à des arrestations et à des détentions arbitraires. Ces forces ont agi dans l’impunité et avec l’approbation d’officiels de haut niveau. La détention prolongée au secret et avant les procès demeure un problème grave. Le gouvernement a porté atteinte aux droits des citoyens relatifs au respect de la vie privée et il a maintenu d’importantes restrictions à la liberté d’expression, de la presse, de réunion et d’association. Le gouvernement a continué de faire preuve d’intolérance envers les critiques publiques et il a eu recours à des manœuvres d’intimidation, à des enquêtes judiciaires, au système pénal, à des arrestations arbitraires, à des assignations à résidence et à la restriction des déplacements afin de dissuader les militants des droits de l’homme et de l’opposition de le critiquer. Par ailleurs, la corruption demeure préoccupante.
RESPECT DES DROITS DE L’HOMME
Section 1 Respect de l’intégrité de la personne, y inclus la protection contre :
a. Mise à mort arbitraire ou illicite
Aucune exécution à caractère politique n’a été commise par le gouvernement ou l’un de ses agents.
En mars 2006, selon l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Bechir Rahali, le chef du commissariat de la Cité Ennour à El Ouradia IV, Tunis, aurait causé la mort de Tarek Ayari en lui assénant un coup sur la tête avec le manche d’une pioche alors qu’il tentait d’échapper à une descente de police. Abandonné sur les lieux sans qu’aucun secours ne lui soit porté, il est ultérieurement décédé des suites de ses blessures. Aucune enquête n’a été ouverte et officiellement aucune plainte n’aurait été portée.
b. Disparition
Aucune disparition à caractère politique n’a été signalée.
c. Torture et autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
De telles pratiques sont interdites par la loi ; pour autant, selon les organisations de défense des droits de l’homme, les forces de sécurité auraient torturé des détenus pour les forcer à faire des aveux et décourager toute résistance. Les formes de torture qui auraient été pratiquées regroupent les sévices sexuels ; la privation de sommeil ; les chocs électriques ; la submersion de la tête sous l’eau ; les coups assénés avec la main, des bâtons ou des matraques ; la suspension de la victime, parfois les mains menottées, à la porte d’une cellule ou à une barre métallique jusqu’à la perte de conscience ; et des brûlures de cigarettes. D’après Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW), des policiers et des gardiens de prison ont eu recours à des agressions sexuelles, ou menacé de le faire, à l’encontre de l’épouse ou des filles de prisonniers afin d’obtenir des informations de ces derniers, de les intimider ou de les punir.
Les accusations de torture concernant des cas précis étaient difficiles à prouver, et en règle générale les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour enquêter sur les allégations ou punir les coupables. Souvent, les autorités auraient empêché les victimes d’actes de torture d’avoir accès à des soins médicaux tant qu’il restait des traces de sévices. Le gouvernement affirme qu’il enquête sur toutes les plaintes de torture et de mauvais traitements qui sont déposées auprès du Procureur de la République et il note que les personnes qui se disent victimes d’actes de torture accusent parfois la police sans porter plainte ; or le dépôt d’une plainte est une démarche indispensable à l’ouverture d’une enquête. Cependant, selon des avocats de la défense et diverses organisations nationales et internationales des droits de l’homme, la police a régulièrement refusé d’enregistrer ces plaintes. En outre, les juges ont classé des affaires sans ordonner d’enquêtes et ils ont accepté comme preuves à charge des aveux qui auraient été obtenus sous la torture. En l’absence de plainte en bonne et due forme, le gouvernement a toujours la possibilité de mener une enquête administrative sur les allégations de torture ou de mauvais traitement de détenus ; lorsque le cas s’est produit, les conclusions de l’enquête n’ont pas été rendues publiques ni communiquées aux avocats des prisonniers concernés.
Dans la mesure où le recours à la torture vise à obtenir des informations ou des aveux, les allégations de torture étaient plus fréquemment associées aux interrogatoires, aux autres phases initiales de l’instruction et aux centres de détention provisoire plutôt qu’aux centres pénitenciers. Des militants des droits de l’homme, citant des témoignages de prisonniers, ont dit que la torture était le plus souvent pratiquée dans des locaux du ministère de l’Intérieur. Les prisonniers politiques, les Islamistes et les détenus accusés d’activités liées au terrorisme seraient soumis à un traitement plus sévère que celui qui est réservé aux autres prisonniers et détenus.
Plusieurs ONG nationales et internationales ont signalé de multiples cas de torture tout au long de l’année.
Selon le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), entre décembre 2006 et le 22 janvier 2007, les autorités auraient ligoté Mohamed Amine Jaziri après lui avoir bandé les yeux et elles l’auraient battu à coups de câbles électriques quand il était en garde à vue. Aucun élément nouveau n’était disponible à la fin de l’année.
Le 6 avril, selon l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), des agents de la prison de Mornaguia ont roué de coups sur la tête et sur le corps Oualid Layouni, qui était détenu à la prison depuis le 16 janvier. Il aurait été confiné dans un espace restreint, sans lumière naturelle ni aération, et il aurait été soumis à des privations de sommeil.
Dans un communiqué de presse en date du 2 novembre, Amnesty International accuse des gardiens de prison d’avoir torturé
Ousama Abbadi, Mohammed Amine Jaziri, Ramzi el Aifi, Oualid Layouni et Mahdi Ben Elhaj Ali, le 16 octobre, alors qu’ils étaient en détention provisoire à la prison de Mornaguia, accusés d’actes
liés au terrorisme. Des gardiens les auraient ligotés et frappés à coups de poing et de pied. Chez Ousama Abbadi, ces mauvais traitements ont entraîné une hémorragie interne à l’œil droit et une
blessure ouverte à la jambe.
En outre, dans son communiqué de presse du 2 novembre, Amnesty International ajoute que d’autres personnes détenues à la prison de Mornaguia ont été traînées dans un couloir, nues. Un prisonnier aurait été violé par insertion d’un bâton dans l’anus.
Le 30 décembre, le Tribunal de première instance de Tunis a condamné trente Tunisiens qui étaient accusés d’actes liés au terrorisme. Les condamnations s’échelonnaient entre cinq ans d’emprisonnement et la peine de mort. Selon des informations de presse, de nombreux accusés ont nié les faits qui leur étaient imputés et ils ont dit n’avoir signé des aveux qu’après avoir été torturés par les forces de sécurité.
Aucun élément nouveau n’a été signalé en juin 2006 au sujet de l’affaire Aymen Ben Belgacem Dridi. La section de Bizerte de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH)a rapporté qu’Aymen Dridi, accusé d’actes liés au terrorisme et détenu à la prison de Borj er-Roumi, aurait été agressé par des agents à coups de poing et à coups de pied et il aurait subi le supplice de la falqa (coups infligés sur la plante des pieds).
Tout au long de l’année, la police a agressé des militants des droits de l’homme et des membres de l’opposition.
L’hebdomadaire d’opposition en langue arabe al-Mawqif a rapporté que le 13 juin, la police avait attaqué des syndicalistes à Kasserine lors d’une manifestation. Des policiers auraient infligé des blessures à Khaled Barhoumi, dirigeant syndicaliste à l’échelon régional, qui a été traité pour fracture du crâne.
Le 24 août, selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), dix policiers en tenue civile ont agressé le journaliste Aymen Rezgui alors qu’il quittait une conférence de presse du Parti démocratique progressif (PDP), qui est un parti de l’opposition. Le journaliste aurait été blessé à la main, et toutes ses notes et son équipement auraient été confisqués.
En mai 2006, selon de multiples témoins et groupes de défense des droits de l’homme, des policiers ont agressé des avocats qui participaient à un sit-in de trois semaines organisé pour dénoncer l’adoption d’une nouvelle loi portant création d’un institut de formation des avocats. À cette occasion, des agents auraient attaqué plusieurs avocats, dont Ayachi Hammami, Abderraouf Ayadi et Abderrazak Kilani, lesquels ont tous été hospitalisés, selon un communiqué du CNLT.
Conditions dans les pénitenciers et centres de détention
En règle générale, les conditions carcérales n’étaient pas conformes aux normes internationales. La surpopulation et l’accès limité aux soins médicaux ont gravement compromis la santé des prisonniers. Au cours de l’année, certaines sources ont fait état de cas où des prisonniers blessés ou malades se seraient vu refuser un accès rapide à des soins médicaux ont été signalées. Le gouvernement autorise le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), mais pas d’autres observateurs indépendants en matière de droits de l’homme, à visiter les institutions carcérales.
Selon les organisations des droits de l’homme, les conditions carcérales ne répondent toujours pas aux normes acceptables minimales. L’hygiène est déplorable, et les prisonniers ont rarement accès à des douches et à des robinets. Une quarantaine, voire une cinquantaine, de prisonniers seraient couramment entassés dans une seule cellule de 18 m2, et jusqu’à 140 dans une cellule de 30 m2. La plupart des prisonniers étaient contraints de partager un lit ou de dormir à même le sol. D’anciens prisonniers et d’autres encore incarcérés ont dit qu’en raison de l’insuffisance des installations sanitaires jusqu’à cent détenus devaient utiliser le même robinet et le même coin d’aisances, ce qui créait de graves problèmes au plan de l’hygiène. Les maladies contagieuses, particulièrement la gale, sont répandues et les prisonniers n’ont pas accès à des soins médicaux adéquats. En outre, l’imposition de mesures discriminatoires et arbitraires, telle la restriction des visites familiales, rend les conditions carcérales encore plus pénibles, surtout pour ceux qui demandent réparation en raison des mauvais traitements et des conditions de détention qui leur sont infligés.
Par suite du rapport que l’organisation Human Rights Watch a rendu public en 2005 et dans lequel elle décrit la pratique de l’isolement cellulaire prolongé à laquelle sont soumis les prisonniers politiques, le gouvernement a déclaré en 2005 qu’il avait éliminé cette pratique. Pour autant, HRW a indiqué que le gouvernement continuait à isoler en petits groupes certains prisonniers politiques, dont la plupart étaient des dirigeants du parti islamiste non reconnu An-Nahdha.
D’après les témoignages de prisonniers et de détenus, les conditions de détention des femmes sont généralement meilleures que celles des hommes. Les détenues et les condamnées seraient traitées de la même façon.
Le CNLT rapporte que des prisonniers de droit commun avaient reçu l’ordre de se tenir à l’écart des prisonniers politiques et qu’ils avaient été sévèrement punis pour être entrés en contact avec eux.
Le CICR a poursuivi ses visites dans les établissements pénitenciers et les centres de détention du pays. Conformément aux modalités prévues par le CICR, les observations et recommandations des délégués sont communiquées aux autorités sur une base confidentielle et bilatérale. Le gouvernement n’a pas autorisé les médias à visiter ces établissements ni à évaluer les conditions de détention.
En novembre 2006, le gouvernement a renforcé les attributions du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales en autorisant les visites sans préavis et les inspections des établissements du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice. Les rapports du Comité ne sont pas rendus publics.
d. Arrestation ou détention arbitraires
L’arrestation et la détention arbitraires sont interdites par la loi, mais les autorités ne se conforment pas à cette interdiction.
Selon l’AISPP, des centaines de personnes auraient été arrêtées depuis 2003 pour avoir consulté des sites Internet liés au terrorisme et elles ont été détenues sans bénéficier d’une procédure régulière ou sans preuves suffisantes établissant la commission d’actes criminels.
D’après Amnesty International et des organisations nationales des droits de l’homme, la police a procédé à l’arrestation de dizaines de personnes à partir de la fin décembre 2006, suite à des opérations sécuritaires visant à perturber une cellule armée qui préparait des attentats terroristes. Des familles ont essayé d’obtenir des informations sur leurs proches, mais les autorités ne leur en auraient donné aucunes. Selon Amnesty International, il est à craindre que ces personnes ne soient gardées au secret dans des locaux des services de sécurité de l’État au ministère de l’Intérieur, où elles courent le risque d’être torturées ou maltraitées. Selon des informations de presse, trente personnes soupçonnées de porter atteinte à la sécurité de l’État ont été accusées et reconnues coupables, mais on ne sait pas combien sont détenues en attente d’un procès.
Le 24 mai, selon RSF, la police a mis en garde à vue pendant une douzaine d’heures un membre fondateur de l’AISPP, Lassaad Jouhri, pour l’interroger sur son intention d’accompagner des représentants de deux ONG internationales, Human Rights First (HRF) et Frontline, à la prison d’El Kef.
Le rôle de police et des forces de sécurité
Plusieurs organismes de maintien de l’ordre relèvent du ministère de l’Intérieur, notamment : la police, compétente au premier chef dans les grandes villes ; la Garde nationale, qui intervient dans les petites villes et en milieu rural ; et les structures de la Sûreté nationale, chargées de surveiller les groupes et les individus que le gouvernement considère comme dangereux, par exemple les partis d’opposition et leurs dirigeants, les médias, les intégristes et les militants des droits de l’homme.
D’une manière générale, les organismes de maintien de l’ordre sont disciplinés, organisés et efficaces ; néanmoins, des cas de petite corruption et de brutalités policières ont été signalés. Les forces de l’ordre opèrent dans l’impunité et avec l’appui de la hiérarchie. La police a attaqué des dissidents et des opposants.
La Haute Institution des forces de sécurité intérieure et de la douane, qui relève du ministère de l’Intérieur, supervise les agents chargés de l’application de la loi au ministère de l’Intérieur et à la Direction générale des douanes. Sa mission déclarée est de renforcer le respect des droits de l’homme et d’améliorer le maintien de l’ordre ; toutefois, on ne dispose d’aucune information sur son fonctionnement non plus que sur les éventuelles mesures disciplinaires qui auraient pu être prises à l’encontre d’agents de l’ordre ou de gardiens de prison.
Arrestation et détention
La loi stipule que la police doit être munie d’un mandat d’arrêt avant d’arrêter un suspect, sauf en cas de crime grave ou de flagrant délit ; des arrestations et des détentions arbitraires ont malgré tout été signalées. Le code pénal fixe à six jours le délai de la garde à vue entre l’arrestation et l’inculpation, le suspect pouvant être détenu au secret. Toutefois, cette règle n’est pas observée de manière systématique. Par exemple, un rapport publié au cours de l’année par le CNLT fait état de vingt-quatre cas dans lesquels la garde à vue aurait dépassé les six jours autorisés. La police a l’obligation d’informer tout suspect de ses droits au moment de son arrestation, de notifier immédiatement sa famille et de prendre scrupuleusement note de la date et de l’heure de ces communications, mais ces règles sont parfois ignorées. Des personnes arrêtées ont pu communiquer avec leur famille lorsqu’elles n’étaient pas détenues au secret, encore que le gouvernement n’ait pas toujours aidé les familles à localiser leurs proches.
Les détenus ont le droit d’être informés des faits qui leur sont reprochés avant leur interrogatoire et de demander à passer une visite médicale. En revanche, ils n’ont pas le droit d’être représentés par un avocat pendant la garde à vue. Des avocats, des défenseurs des droits de l’homme et des personnes interpellées affirment que les autorités prolongent illégalement le délai de garde à vue en falsifiant la date d’arrestation. Certains policiers extorqueraient de l’argent aux familles de personnes innocentes, en échange de quoi ils abandonneraient les accusations émises contre elles.
La loi autorise la mise en liberté sous caution, et les personnes arrêtées ont le droit d’être représentées par un avocat pendant la lecture de l’acte d’accusation. Le gouvernement octroie une aide judiciaire aux indigents. Au moment de la lecture de l’acte d’accusation, le juge d’instruction peut autoriser la mise en liberté de l’accusé jusqu’au procès ou l’astreindre à la détention provisoire.
Lorsqu’il s’agit de crimes passibles de plus de cinq ans d’emprisonnement ou qui affectent la sûreté nationale, la détention provisoire peut atteindre six mois, cette période initiale pouvant être prolongée deux fois par les tribunaux pour une période supplémentaire de quatre mois à chaque fois. Lorsqu’il s’agit de crimes pour lesquels la peine maximale prévue par la loi est inférieure à cinq ans d’emprisonnement, un tribunal ne peut prolonger la détention provisoire initiale qu’une seule fois, et pour trois mois seulement. Pendant la phase de la détention provisoire, un juge instruit l’affaire, entend les plaidoyers, verse au dossier les pièces à charge et à décharge qui lui sont communiquées par les parties et décide de la suite à donner à leurs requêtes. La prolongation abusive du délai de détention provisoire a été couramment dénoncée.
Amnistie
Des juges et le gouvernement ont exercé le droit qu’ils ont d’ordonner l’élargissement de prisonniers ou de suspendre leur peine, souvent dans le cadre d’une libération assortie d’une mise à l’épreuve.
Le 24 juillet, le président Ben Ali a ordonné l’élargissement de 21 prisonniers en prévision de la fête nationale du 25 juillet commémorant l’établissement de la République tunisienne. Au nombre des personnes libérées figurait Maître Mohammed Abbou, incarcéré pour avoir publié sur Internet un article critique à l’égard des prisons tunisiennes et du président Ben Ali. Les autres prisonniers libérés étaient affiliés au parti intégriste non reconnu An-Nahdha.
Le 5 octobre, selon l’ONG non enregistrée Liberté et Égalité, les autorités ont relâché vingt-sept prisonniers incarcérés à Borj Er Roumi et à Mornaguia. Deux d’entre eux, Aymen Mejri et Anouar Hannachi, avaient été condamnés à purger une peine de prison, et ils ont été placés sous contrôle administratif pendant cinq ans. Les vingt-cinq autres étaient en détention provisoire et, partant, non assujettis au contrôle administratif après leur libération.
Le 7 novembre, selon des informations de presse, le président Ben Ali a gracié sept prisonniers à l’occasion du vingtième anniversaire de son arrivée au pouvoir. Il s’agissait de
Karim Harouni, d’Ali Chniter, de Lotfi Senoussi, de Mohamed Salah Tsouma, de Sakher Fatmi, d’Abdellatif Bouhjila et de Ramzi Bettibi.
e. Déni d’un procès équitable et public
La loi garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire ; pour autant, le pouvoir exécutif et le président exercent une forte influence sur l’appareil judiciaire, surtout dans les affaires à caractère politique. Le pouvoir exécutif a un droit de regard indirect sur le système judiciaire dans la mesure où il décide de la nomination, de l’affectation, de la titularisation et du transfert des juges, rendant ainsi l’appareil judiciaire sensible aux pressions. En outre, c’est le président de la République qui est à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, dont la plupart des membres sont nommés par lui.
La loi donne aux citoyens le droit de recours devant un tribunal administratif pour porter plainte contre un ministère, encore que les responsables du gouvernement respectent rarement les avis du tribunal, du reste non contraignants. Le gouvernement a autorisé des observateurs affiliés à des missions diplomatiques et des journalistes étrangers à assister à des procès. La décision de permettre à des observateurs d’assister à des audiences de tribunaux militaires est laissée à la discrétion du tribunal.
À la fin de l’année, l’Institut de formation des avocats, dont la création avait été entérinée par une loi signée en 2006 par le président Ben Ali, n’était toujours pas opérationnel. L’Ordre national des avocats est hostile à ce projet parce que la création de cet institut – et le contrôle gouvernemental des admissions à cet établissement – saperait l’indépendance du judiciaire en donnant au gouvernement le pouvoir de contrôler les admissions au barreau. L’Ordre national des avocats a demandé aux autorités qu’elles le laissent participer à la gestion de l’établissement. En mai 2006, la police a agressé des membres de l’Ordre qui participaient à un sit-in pour dénoncer la nouvelle loi.
Le système des tribunaux civils comporte trois niveaux hiérarchiques. À la base de la hiérarchie juridictionnelle, on trouve les tribunaux cantonaux, au nombre de 51, à juge unique. Au deuxième niveau, on trouve les tribunaux de première instance, qui sont au nombre de 24. Ils sont la juridiction d’appel des jugements des tribunaux cantonaux, mais ils ont aussi compétence en premier ressort pour les crimes. La Cour de cassation (l’équivalent de la Cour suprême des États-Unis) est la cour d’appel de dernier ressort. Elle statue sur le droit et non sur le fond. L’organisation du système des tribunaux pénaux est calquée sur celle des tribunaux civils. Dans la plupart des cas, le tribunal, composé d’un ou de plusieurs magistrats, domine le déroulement du procès, et la défense a peu d’occasions d’intervenir de façon substantive.
Les tribunaux militaires relèvent du ministère de la Défense. Ils sont compétents pour les affaires mettant en cause du personnel militaire et des civils accusés de porter atteinte à la sûreté de l’État. Les personnes condamnées par un tribunal militaire peuvent se pourvoir en appel devant la Cour de cassation. Au cours de l’année, selon Amnesty International, les tribunaux militaires ont condamné au moins 15 civils à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans.
Par ailleurs, un tribunal administratif traite les litiges entre les citoyens et le gouvernement.
Déroulement des procès
La loi confère les mêmes droits à tous les citoyens, y compris le droit à un procès équitable ; pour autant, des ONG nationales et internationales affirment que ce principe n’est pas toujours respecté.
Les procès devant les tribunaux ordinaires de première instance, ainsi que ceux devant les cours d’appel, sont ouverts au public. La loi confère à l’accusé le droit d’être présent à son procès, d’être défendu par un avocat et d’interroger les témoins ; dans la pratique, toutefois, les juges ne respectent pas toujours ces principes. La loi permet l’ordonnance de contumace, c’est-à-dire le jugement d’un accusé en son absence quand celui-ci fuit la justice. L’accusé comme le ministère public peuvent faire appel d’un jugement rendu par un tribunal inférieur.
La loi garantit la présomption d’innocence ; toutefois, ce principe a été parfois négligé dans la pratique, en particulier dans les affaires délicates au plan politique. Le défendeur peut demander le remplacement du juge qui instruit son procès s’il estime que celui-ci n’est pas impartial ; toutefois, les juges ne sont pas tenus de se récuser.
Les atermoiements excessifs sont demeurés préoccupants. Le droit à la diligence de la procédure judiciaire n’est pas reconnu, et il n’existe aucune limite légale à la durée de l’instruction. Des avocats de la défense se sont plaints du fait que les juges les empêchaient parfois de faire entendre des témoins à décharge ou de procéder au contre-interrogatoire des principaux témoins à charge. En outre, ils ont affirmé que les tribunaux tardaient souvent à les informer de la date des procès ou qu’ils ne leur laissaient pas suffisamment de temps pour préparer leur dossier. Selon certaines allégations, des juges auraient restreint l’accès des avocats aux pièces à conviction et aux dossiers pertinents du tribunal, allant dans certains cas jusqu’à obliger tous les avocats chargés d’une même affaire à se présenter tous en même temps dans leur cabinet pour examiner les documents, sans les autoriser à en faire de copies.
Selon des avocats et des organisations des droits de l’homme, les tribunaux refusent régulièrement d’enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements, et ils acceptent à titre de preuves les aveux obtenus sous la torture. En outre, ces groupes affirment que la nature sommaire des audiences des tribunaux a parfois empêché les délibérations de se faire dans la sérénité et que le caractère erratique du calendrier et des procédures des tribunaux a eu pour effet de décourager la présence d’observateurs aux procès politiques.
Nonobstant la codification du droit de la famille, dispositions relatives à l’héritage incluses, il arrive que les juges de droit civil appliquent la charia (droit islamique) dans les affaires intéressant la famille lorsqu’il y a conflit entre les deux systèmes. Il y a des parents qui établissent des contrats de vente en bonne et due forme entre eux et leurs enfants pour s’assurer que leurs filles recevront une part d’héritage égale à celle de leurs fils : c’est une façon pour eux de se soustraire à l’application de la charia dans ce domaine.
Prisonniers et détenus politiques
Le gouvernement a nié détenir des prisonniers politiques et, s’il y en a, on n’en connaît pas le nombre. Selon des organisations des droits de l’homme, environ 2 000 personnes auraient été arrêtées et emprisonnées depuis 2005 pour avoir commis des actes terroristes ou avoir eu l’intention d’en commettre, et ce en l’absence de preuves suffisantes en la matière. D’après des avocats et des militants des droits de l’homme, un grand nombre de ces personnes auraient été torturées dans des locaux du ministère de l’Intérieur et contraintes de signer des aveux.
D’après l’AISPP, il resterait parmi les prisonniers politiques vingt-quatre personnes qui faisaient partie d’un groupe d’islamistes arrêtés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Très peu d’entre eux avaient été reconnus coupables d’avoir commis des actes violents. La plupart des personnes considérées comme des prisonniers politiques ou d’opinion par les organismes internationaux de défense des droits de l’homme avaient été arrêtées pour avoir enfreint les lois interdisant l’adhésion à des organisations non reconnues et répandu de fausses informations visant à troubler l’ordre public. Beaucoup avaient été arrêtées pour avoir diffusé des informations émanant d’An-Nahdha ou d’autres organisations du même genre. D’anciens prisonniers politiques ont déclaré que le marquage de leurs pièces d’identité les exposait à un traitement plus sévère.
Le CICR et le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales ont été autorisés à visiter les prisons et les centres de détention.
Procédure judiciaire civile et voies de recours
Il existe des tribunaux pour recevoir les plaintes de violation des droits de l’homme, mais l’indépendance et l’impartialité de l’appareil judiciaire ont été compromises dans les affaires où le gouvernement était impliqué. Les recours administratifs étaient possibles par requête auprès du médiateur de la République tunisienne et du tribunal administratif, mais les avis rendus par ces instances ne sont pas juridiquement contraignants et ils sont souvent ignorés par les ministères et autres organismes publics.
f. Immixtions arbitraires dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance
La Constitution interdit de telles actions « sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi » ; mais dans la pratique, le gouvernement n’a pas respecté cette interdiction. Il est arrivé à la police de procéder à des perquisitions sans être munie du mandat obligatoire si les autorités considéraient que la sûreté de l’État était en jeu. Des ONG nationales et des militants en faveur de la société civile ont dit que des membres des forces de sécurité s’étaient introduits par effraction dans leurs bureaux quand il n’y avait personne pour y perquisitionner sans mandat.
Les autorités peuvent invoquer la sûreté de l’État pour justifier les écoutes téléphoniques. Selon de nombreux cas signalés par des ONG, des organes de presse et des diplomates, les autorités auraient intercepté des messages transmis par télécopieur ou par courrier électronique. La loi n’autorise pas explicitement de telles activités, mais le gouvernement argue que le Code de procédure pénale confère implicitement cette autorité aux juges d’instruction. Les opposants politiques ont fait état d’interruptions fréquentes, et parfois prolongées, des services de téléphonie, de télécopie et d’accès à Internet, à leur domicile comme sur leur lieu de travail. Les militants des droits de l’homme ont accusé le gouvernement d’utiliser le Code des services postaux, qui interdit de manière vague et large tout courrier de nature à menacer l’ordre public, pour intercepter leur courrier et les empêcher de recevoir des publications venant de l’étranger. Les forces de sécurité surveillent régulièrement les activités, les appels téléphoniques et les communications par Internet des membres de l’opposition, des islamistes et des militants des droits de l’homme, dont certains ont été mis sous surveillance policière.
Selon des militants des droits de l’homme, les autorités auraient puni des membres de la famille de militants islamistes en faisant en sorte que ceux-ci se voient refuser un emploi, des possibilités en matière d’éducation, un permis d’ouverture de commerce ainsi que le droit de se déplacer, et ce en raison des activités de leurs proches. En outre, les membres de la famille des militants sont soumis à une surveillance policière et à des interrogatoires.
Selon des militants des droits de l’homme, les anciens détenus soupçonnés d’être membres d’An-Nahdha ont eu du mal à trouver un emploi après leur libération à cause des agissements des autorités. D’autres prisonniers politiques, une fois libérés, ont eu du mal à obtenir du ministère de l’Intérieur le document prouvant qu’ils avaient un casier judiciaire vierge et, même lorsqu’ils n’avaient pas été emprisonnés, les militants politiques et les islamistes se sont vu confisquer leur carte d’identité, ce qui leur a occasionné des problèmes lorsqu’ils voulaient avoir accès aux soins de santé, signer un contrat de bail, acheter ou conduire une voiture, avoir accès à leur compte en banque ou toucher une pension. La police peut procéder à des vérifications d’identité quand bon lui semble et toute personne qui n’est pas en mesure de présenter sa carte d’identité peut être détenue par la police jusqu’à ce que son identité soit établie par cette dernière. Lasaad Johri, membre de l’AISPP, n’a pas de carte d’identité depuis 1999.
Section 2 Respect des libertés civiles, y inclus :
a. Liberté d’expression et de la presse
La Constitution garantit une mesure limitée de liberté d’expression et de la presse mais dans la pratique, le gouvernement n’a généralement pas respecté ce principe. Il a restreint la liberté de la presse et poussé les journalistes, les directeurs de rédaction et les éditeurs à pratiquer l’autocensure. Les forces de sécurité ont étroitement surveillé les activités de la presse étrangère et nationale.
Conformément à la loi, la presse écrite n’est pas soumise à une autorisation administrative, mais elle est strictement contrôlée à travers l’autorisation que doivent détenir les imprimeurs. La presse écrite doit faire une demande d’enregistrement de droit d’auteur auprès du ministère de l’Intérieur, lequel délivre un récépissé valable pendant un an et qui constitue en fait une autorisation officielle de publication. Le Code de la presse stipule que ce récépissé doit être délivré avant qu’une publication ne puisse être imprimée, ce qui revient à interdire les publications non autorisées. En outre, le Code de la presse met les éditeurs dans l’obligation d’avertir le ministère de l’Intérieur en cas de changement d’imprimeurs. Les imprimeurs et les éditeurs qui contreviennent à ces règles sont également passibles d’amendes individuelles substantielles pour chaque exemplaire tiré.
De même, les médias électroniques sont contrôlés à travers l’attribution ou le refus d’une bande de fréquence par l’Agence tunisienne des fréquences, laquelle relève du ministère des Technologies de la communication. Ces licences, ou agréments, font l’objet de strictes restrictions.
La loi interdit aux citoyens de discuter des dossiers de politique nationale sur les stations de radio et chaînes de télévision étrangères durant les deux semaines qui précèdent des élections nationales.
Les forces de sécurité questionnent souvent les citoyens qui ont été vus en train de parler à des étrangers, que ces derniers soient de passage ou qu’ils résident dans le pays, et en particulier lorsqu’il s’agit de journalistes et de membres d’organismes de défense des droits de l’homme. Le gouvernement a tenté d’empêcher la tenue de réunions privées avec des diplomates étrangers et d’influencer des réunions publiques en faisant encercler les lieux par des dizaines de policiers en civil. Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, par exemple, une haie de policiers en civil avait été formée tout au long de la rue menant au siège de la RTT (Radio et Télévision tunisienne, organisme étatique) pour bloquer une manifestation qui devait avoir lieu en faveur de la liberté de la presse.
Le gouvernement a déclaré que 950 publications et journaux étrangers étaient distribués dans le pays et que 90 % des journaux tunisiens étaient « privés » et « jouissaient de l’indépendance éditoriale ». Toutefois, sur les huit grands quotidiens en circulation, deux sont la propriété du gouvernement, deux autres appartiennent au parti au pouvoir et deux autres, bien que supposément privés, reçoivent des consignes de hauts responsables du gouvernement. Tous les médias sont soumis à d’intenses pressions gouvernementales en matière de contenu.
On a dénombré sept journaux d’opposition à faible circulation. Cinq d’entre eux ont reçu des subventions publiques en vertu d’une loi qui accorde des crédits aux journaux affiliés à des partis d’opposition dont des membres siègent au parlement. Deux autres, al-Mawqif et Mouwatinoun, n’ont pas bénéficié d’une telle assistance du fait que leurs partis respectifs ne sont pas représentés au parlement. Le 10 janvier, le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL), qui est un parti d’opposition, a commencé à publier le journal Mouwatinoun.
S’il a autorisé les critiques publiques dans les journaux d’opposition, le gouvernement y a mis des entraves à ces mêmes critiques dans la presse de grande diffusion. Certains particuliers et certains groupes ont subi des représailles pour avoir tenu des propos critiques à l’égard du pouvoir. Le 9 mars, par exemple, les autorités ont condamné par contumace le journaliste et défenseur de la liberté de la presse Mohamed Fourati à quatorze mois de prison parce qu’il était membre du parti An-Nahdha, non reconnu. Ce journaliste avait participé antérieurement à la rédaction du journal d’opposition al-Mawqif pour lequel il avait rédigé plusieurs articles peu flatteurs envers le gouvernement. Dans un premier temps, le tribunal l’avait acquitté, mais le ministère public a interjeté appel deux fois, jusque devant la Cour de cassation, et Mohamed Fourati a fini par être reconnu coupable. Il vivait à l’étranger lorsqu’il a été condamné.
Les 2, 16 et 28 août, le journaliste Omar Mestiri a dû comparaître au tribunal avant que les autorités n’acceptent d’abandonner l’accusation de diffamation qui pesait contre lui. Mohamed Baccar, un avocat, avait porté plainte contre le journaliste qui avait émis des doutes, dans un article, sur les circonstances dans lesquelles l’avocat avait réadmis au tableau de l’Ordre alors qu’il en avait été rayé après avoir été reconnu coupable de fraude et d’usage de faux. De l’avis des militants, l’accusation portée contre Osmar Mestiri avait une motivation politique ; celui-ci avait publié deux articles sur la corruption au sein du gouvernement peu de temps avant que Mohamed Baccar ne porte plainte contre lui.
En octobre 2006, le leader politique de l’opposition Moncef Marzouki a été mis en examen pour activités « de nature à troubler l’ordre public », suite à sa participation, début octobre, à des émissions d’al-Jazira au cours desquelles il avait critiqué le gouvernement et prôné la désobéissance civile. Moncef Marzouki a quitté le pays avant l’ouverture de son procès. Aucun élément nouveau n’était signalé à la fin de l’année.
Il n’a été signalé aucun cas d’arrestation de journalistes liée exclusivement à l’exercice de leur métier ; toutefois, certains journalistes impliqués dans des activités d’opposition ont été détenus et interrogés.
Le 30 novembre, selon des informations de presse, les autorités ont arrêté deux journalistes qui travaillaient pour la chaîne de télévision privée al-Hiwar et qui couvraient une réunion syndicale. Les autorités les ont remis en liberté après un interrogatoire de deux heures.
Le 9 avril, selon le Comité pour la protection des journalistes), quinze policiers auraient encerclé le journaliste Lotfi Hajji à sa sortie d’une réunion du parti d’opposition PDP et ils l’auraient violemment bousculé. Le 29 juin, selon la section tunisienne de la Campagne internationale pour le respect des droits de l’homme, la police aurait pris à partie Lotfi Hajji et son confrère Aymen Rezki alors qu’ils tentaient de se rendre à un séminaire sur la liberté d’expression qu’organisaient conjointement le PDP et le FDTL. Selon RSF, à trois occasions entre le 20 et le 27 septembre, les autorités ont empêché Lotfi Hajji, de force, d’entrer dans les bureaux du PDP où il voulait se rendre pour couvrir une grève de la faim.
Le 6 juin, les autorités ont prolongé de vingt-six mois la durée de l’exil interne imposé au journaliste Abdullah Zouari, lequel a travaillé à une époque pour Al-Fajr, l’hebdomadaire du parti An-Nahdha. Abdullah Zouari est sous contrôle administratif et en exil interne depuis 2004. Selon RSF, aucune explication n’a été donnée pour la prolongation de son exil.
Le 4 décembre, le tribunal cantonal de la banlieue de Sfax a condamné le journaliste Slim Boukhdir à un an de prison et à une amende de cinq dinars pour « outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions », « atteinte aux bonnes mœurs » et « refus de présenter ses papiers d’identité à la police ». Le 26 novembre, il a été arrêté alors qu’il se rendait au commissariat de police de Khaznadar pour achever les formalités de demande de passeport ; il avait fait une grève de la faim de quinze jours, début novembre, pour obtenir le droit d’avoir un passeport. Le 4 décembre, il a été condamné à un an de prison pour avoir, selon les chefs d’accusation, insulté un policier, utilisé un langage ordurier et refusé de présenter sa carte d’identité nationale à des agents de la sécurité. Les organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse ont condamné son arrestation et sa condamnation, motivées selon elles par des considérations politiques. Dans un communiqué de presse en date du 4 décembre, RSF affirme qu’ « en Tunisie, on emprisonne les journalistes sous des motifs souvent sans rapport avec leur profession pour se prémunir contre toute accusation de censure ». Le gouvernement continuerait à refuser de délivrer une carte de presse à Slim Boukhdir. En 2005, le quotidien de langue arabe Ash-Shourouq a cessé de publier les articles de celui-ci et a gelé son salaire en février 2006. En avril et en mai 2006, Slim Boukhdir a été l’un des deux journalistes de ce quotidien à faire une grève de la faim pour dénoncer le comportement de la direction à leur égard.
En janvier 2006, le président de la République a signé une loi abolissant la formalité du « dépôt légal », qui exigeait que tout document écrit soit approuvé par le gouvernement avant sa publication ou sa diffusion. L’annulation du dépôt légal met fin à la censure officielle et ouverte de la presse écrite nationale, mais pas à l’autocensure ni à l’ingérence manifeste du gouvernement, ainsi que le prouve la publication simultanée dans trois journaux de langue arabe d’éditoriaux similaires critiquant les militants de la société civile qui fréquentent les ambassades étrangères.
Le 7 novembre, le président Ben Ali a annoncé que l’examen préalable des publications étrangères et des livres relèverait désormais non plus du ministère de la Justice, mais du ministère de l’Intérieur. Avant cette date, tous les livres et toutes les publications étrangères faisaient l’objet de restrictions, qui pouvaient aller jusqu’au refus d’impression et de distribution. Le ministère de l’Intérieur a exigé des exposants qui participaient aux foires aux livres qu’ils lui remettent au préalable la liste complète des titres qu’ils comptaient présenter. Nombreux sont les livres dont la présentation n’a pas été acceptée lors de la foire aux livres qui s’est tenue du 27 avril au 5 mai.
Le gouvernement a régulièrement saisi et interdit la distribution de journaux tunisiens contenant des articles ou des photos contraires à ses politiques. Le 24 mars, par exemple, les autorités auraient acheté tous les exemplaires de l’hebdomadaire d’opposition al-Mawqif à cause de la publication d’une photo de parlementaires tunisiens et israéliens qui participaient à une réunion du Conseil parlementaire euro-méditerranéen à Tunis. De même, elles ont empêché la parution du numéro d’al-Mawqif du 22 juin parce qu’il contenait un article sur une manifestation syndicale tenue à Kasserine le 13 juin ainsi qu’une photo du responsable régional de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), Khaled Barhoumi, qui aurait été blessé par la police.
La loi stipule que la publication, l’introduction et la circulation d’ouvrages étrangers peuvent être soumises à des restrictions. Les autorités ont ainsi empêché le public de se procurer en temps voulu des publications étrangères qui contenaient des articles jugés hostiles au pays ou de nature à porter atteinte à la sécurité.
Selon un communiqué de RSF en date du 27 février, le gouvernement a interdit de diffusion l’édition du quotidien français Le Monde du 23 février ainsi que les éditions de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur des 8 et 21 février parce qu’ils contenaient des articles très critiques envers le président Ben Ali. RSF a signalé que le gouvernement avait censuré au total trois éditions du Monde en février, l’une d’elles comportant un entretien du président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH), Mokhtar Trifi.
La réglementation en vigueur oblige les correspondants étrangers à obtenir une autorisation écrite pour faire des enregistrements vidéo en public. Le gouvernement contrôle la transmission par satellite des reportages réalisés par des correspondants tunisiens pour des chaînes de télévision étrangères en refusant d’octroyer des licences aux correspondants et en les obligeant à utiliser les connexions satellitaires du gouvernement.
La loi punit les auteurs de propos diffamatoires d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans s’ils visent le président et jusqu’à trois ans s’ils concernent des corps constitués, tels la Chambre des députés, la Chambre des conseillers, les conseils constitutionnels, l’administration, les membres du gouvernement ou leurs adjoints.
Selon de nombreux journalistes ainsi que d’autres sources, de hauts responsables du gouvernement téléphonent régulièrement aux directeurs de services d’informations et aux rédacteurs en chef pour leur indiquer les sujets à ne pas aborder ni à publier ainsi que pour guider le contenu des éditoriaux et la couverture des nouvelles. L’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) a fait respecter ce principe et d’autres mécanismes officieux de censure en achetant des espaces pour la publication d’annonces gouvernementales aux publications qui ont sa faveur. Quant aux entreprises privées, elles ne voulaient pas acheter d’espaces publicitaires dans les journaux boudés par le pouvoir de crainte de donner l’impression qu’elles soutenaient des médias faisant l’objet de sanctions du gouvernement.
Les directeurs et les propriétaires de médias privés, de même que les journalistes travaillant pour le gouvernement et le parti au pouvoir, pratiquent l’autocensure à un degré très poussé. Les journalistes de la presse de grande diffusion se sont régulièrement abstenus de mener des enquêtes sur certaines questions nationales. Seule la presse d’opinion à tirage limité a abordé régulièrement des sujets controversés d’intérêt national.
Le gouvernement a souvent fait pression sur les journaux pour qu’ils impriment la version officielle de tel ou tel événement, même lorsque ses propres journalistes étaient présents. Selon un communiqué de presse de RSF en date du 5 novembre, les reporters de médias privés ont pour consigne de ne traiter que les informations émanant de l’agence officielle Tunis Afrique Presse (TAP). Selon un rapport du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) de mai 2006, les autorités auraient interdit à des journalistes de rendre compte d’une grève des fonctionnaires des postes en janvier 2006 et des enseignants du secondaire en avril 2006. Certains journaux dont l’État est propriétaire ont accusé ce syndicat d’inciter à la discorde et de manquer de patriotisme.
Le CNLT a produit le journal/magazine électronique Kalima sans autorisation, mais il n’était accessible que de l’étranger. Le ministère de l’Intérieur a continué de bloquer l’enregistrement de cette publication. Selon des ONG internationales des droits de l’homme, ce refus du gouvernement serait dû aux commentaires défavorables au pouvoir que contient la publication.
Liberté d’accès à l’Internet
Selon le gouvernement, aucun site Internet n’est bloqué ni censuré, à l’exception des sites à contenu pornographique ou de nature à troubler l’ordre public, c’est-à-dire ceux qui contiennent « des appels à la haine, à la violence, au terrorisme et à toutes formes de discrimination et de sectarisme contraires à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine » ou qui sont « préjudiciables à l’enfant et à l’adolescent ». Pour autant, le gouvernement a bloqué l’accès à un certain nombre de sites Internet. Il a ainsi rendu inaccessibles pratiquement tous les sites appartenant à des organismes tunisiens de défense des droits de l’homme, à l’opposition et aux mouvements islamistes. Quelques sites étrangers ont été bloqués par intermittence, notamment ceux d’Amnesty International, de RSF et de HRW (page consacrée à la Tunisie). Les sites d’actualités maintenus par l’opposition et des forums de discussion ont eux aussi été bloqués.
Selon le profil établi en 2006 par l’Initiative OpenNet (ONI), le nombre d’internautes en Tunisie s’élève à environ un million. Les tests effectués par l’ONI ont révélé que le gouvernement
bloquait très largement les sites des groupes d’opposition politiques, des actualités présentées par l’opposition, des organisations de défense des droits de l’homme, ainsi que les sites
pornographiques et certains sites qui seraient critiques à l’égard du Coran et de l’islam. Selon l’ONI, le gouvernement a bloqué systématiquement des sites en utilisant un logiciel commercial de
filtrage installé sur ses serveurs qui lui permet de bloquer l’accès des 12 fournisseurs de services Internet (FSI) du pays.
Deux décrets datant de 1997 couvrent en partie les services liés à l’Internet et aux télécommunications. Tous les FSI sont tenus d’obtenir un agrément du ministère des Technologies de la
Communication. Les demandes d’agrément sont étudiées par la Commission des services de télécommunication, laquelle inclut parmi ses membres des représentants des ministères de la Défense et de
l’Intérieur ainsi que de hauts fonctionnaires travaillant dans le secteur des communications, de l’information et de l’informatique.
D’après un rapport établi en 2005 par HRW sur la censure en ligne, chaque FSI est tenu de désigner un directeur qui sera responsable du contenu des sites sur la toile qu’on lui demande
d’héberger. Les internautes ainsi que les administrateurs de sites et de serveurs doivent eux aussi assumer la responsabilité des infractions à la loi. Chaque FSI doit soumettre mensuellement la
liste de ses abonnés à l’Agence tunisienne d’Internet (ATI), organisme quasi-gouvernemental. En cas de cessation d’activité, le FSI doit immédiatement remettre un jeu complet de ses archives. Le
directeur d’un FSI doit constamment surveiller le contenu des sites hébergés sur ses serveurs pour s’assurer que son système ne contient aucune information contraire « à l’ordre public et aux
bonnes mœurs ».
Le 24 juillet, Mohamed Abbou a bénéficié d’une grâce présidentielle et il a été libéré de prison à l’occasion de la fête nationale du 25 juillet. En 2005, cet avocat avait été déclaré coupable
d’avoir publié sur Internet des propos « de nature à perturber l’ordre public » ; il avait dénoncé la torture pratiquée dans les prisons du pays et comparé le sort des prisonniers tunisiens à
celui des prisonniers irakiens à Abou Ghraib.
Liberté académique et événements culturels
Le gouvernement impose des restrictions à la liberté académique et encourage l’autocensure dans le milieu universitaire. Il a maintenu sous étroite surveillance les administrateurs, les enseignants et les étudiants en vue de déceler la moindre activité politique. La présence de policiers en uniforme et en civil sur les campus avait pour but de dissuader le corps estudiantin d’exprimer ouvertement des idées dissidentes.
En octobre 2006, Abdelhamid Sghaïer, étudiant en troisième cycle, a été condamné à verser une amende pour avoir pris la défense d’étudiantes de l’université de Tunis qui revendiquaient le port du hijab. Abdelhamid Sghaïer a fait une grève de la faim de vingt jours pour protester contre la décision du tribunal et exiger le renouvellement de son passeport, dont il faisait la demande depuis six mois. Le gouvernement aurait agi ainsi en raison de ses activités politiques.
Les autorités ont exigé que les auteurs de tout travail universitaire obtiennent une autorisation préalable pour le publier, et les bibliothèques universitaires se sont abstenues d’acheter des livres étrangers ou de s’abonner à des revues étrangères jugées hostiles au gouvernement. L’étroit contrôle gouvernemental des fonds de recherche universitaire a empêché les administrateurs d’octroyer ou de solliciter des subventions pour financer des travaux sur des sujets que le gouvernement jugerait inadmissibles. Les professeurs se sont gardés d’enseigner des cours sur des sujets considérés comme délicats, tels les cours de droit sur les systèmes politiques ou les cours sur les libertés civiles. Ils ont souvent évité de discuter les sujets suffisamment névralgiques pour attirer l’attention du gouvernement, et des membres du corps enseignant ont indiqué qu’ils hésitaient à se rencontrer en dehors des salles de cours. Les enseignants étaient tenus d’obtenir la permission du ministère de l’Enseignement supérieur pour organiser des conférences et ils devaient accompagner leur demande de la liste des sujets qui seraient abordés et de celle des personnes invitées.