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16 juillet 2005 6 16 /07 /juillet /2005 00:00

Liberté


Tu cries tu saignes dans la nuit
On dirait que la vie t’a rogné les ailes
On dirait que la bonté a exilé ton âme par delà l’univers
J’ai tout oublié de toi dés l’instant où je te quitte
Tellement tu t’évapores
Tellement tu me vides
Semblable à l’air
A vingt mille ans de solitude

Liberté

On t’aurait assassiné au berceau
De ce lait maternel
De cette empreinte tatouée au profond
Et qui t’a ouvert tes beaux yeux
Et que j’imagine dans les ténèbres vigilants à t’éteindre
A te lier aux amours passagères
Tu cours dans les rues de l’absurdité
Et je te sais partout où j’aime rêver
Parce qu’enfin l’utopie
C’est comme cette eau qui descend la seine et qui finira par arriver

Liberté

Je t’adore âme et corps et du st esprit
Fruit de mon imaginaire sur ton ire
Quand ma larme te raisonne
Et te multiplie à l’infini des gestes
Ses frénésies vagabondes
Et je t’imagine mon dieu sur tout ce que je désire
Et le pouvoir des femmes
Et la volupté des prophètes
Et l’essence de vie
Et l’aube éternelle
Et le jeu ingrat des saisons
Quand le monde s’éveille aux soupirs des amants de rencontre

Liberté

Tu vivras longtemps après moi
Dans le souvenirs de ces combats
Aimés partagés à deux à des milliers à des millions
Dans les seuls moment qui font la splendeur de l’Homme
Des fois par pudeur
On se défait de sa fureur
Je te prends comme tu es
Comme je prendrais la mort
Parce qu’il le faut
Parce que je ne suis pas sûr que l’éternité existe

Liberté

J’aime ta bouche de l’obsession
Qui jouie de la colère des bouges
Quand je te balade les soirs de grande frime
Sur les boulevards de l’angoisse
A l’adresse indiquée par l’arbitraire
Sur les chemins balisés par les plantons de la peur
Et les connards concis par l’habitude
Sciés par le quotidien et le nécessaire alimentaire
Là-bas quelque part du côté du néant

Liberté

Je ne te pardonne rien
Parce que comme la pluie torrentielle
Comme l’opulence
Comme l’acte gratuit
Comme toutes ces chiffes à la con qui décident le monde
Tu es là où il ne faut pas être
On ne choisit vraiment rien
Ni son heure ni sa naissance
Et c’est pour cela qu’il faut mûrir sa mort

Liberté

Souvent je te hais
Avec ma cervelle avec mes nerfs
Avec mes tripes avec mon sommeil
Et je sais pertinemment
Que nous nous sommes rien dit
De ce qui nous sépare
De ce qui nous déchire
Depuis le temps qu’on partage les mêmes misères
Et l’incertitude
Et les fins de nuit
Et la sinistrose

Liberté

Et je crève de toi j’ai faim de toi et je t’en veux
Mon désir de te vaincre
Ne s’est pas émoussé
Malgré l’abstraction et le conforme
Nos orgasmes sont miscibles
Et notre coït jamais sommaire
Je t 'évites désormais parce que tu m’as démuni
De simplicité de raison de congruité
Et je bande pour toi
Parce que j’existe

Liberté

Tu sens sous ta main mon cœur se débattre
Et mon esprit rêver haut
Je me regarde dans tes yeux et je vois combien tu m’aimes
Et l’étendue de ma perdition
Dés lors se donne des raisons terribles
Pour persifler

Liberté

Tu étais une ombre au fond de ma galère
Je comptais les nombres
Je vivais ma vie
Je m’étais affranchi
De la haine et de l’amour
Et faiseur de décombres
Je passais en silence
Dans le bruit

Liberté

Tu poses tes lèvres sur mon front
Et tu te cherches un peu
Dans mes mots qui te poussent à tes limites
Parce que tu sais ce que tu veux
Ta fièvre instantanée vient et se taille aussi vite
Que tous ces lieux innomés
Où tu consumes cent mille ans de solitude
À recoller mes morceaux
d'un nettoyage par le vide

Liberté

Tu entends ma voix à l’agonie
J’ai remis ta vie à l’heure
Et met la mienne à ta piété
Tu entends ma voix sous les cendres
Et tu m’imagines l’incroyable félicité
De crever de toi
Je crois vraiment au hasard
Et que l’homme enfante dans la douleur

 

J’aime à l’absolu et je sais le dire en donnant à l’autre quelqu’il soit.

Par mis les autres.

Mon silence

Mon écoute.

Mon amour de la vie.

Et mon respect  profond des entrailles pour la mort et le temps.

Et surtout, surtout la certitude infinie que tout nous vient de la vérité, c'est-à-dire de l’amour violent dans sa liberté.

La vérité est le tout au commencement, et tout ce temps où le monde exulte.

Et sera la fin de tout.

La vérité qui flambe et fauche, qui brûle et dévore, elle est le début et la fin dans le vagissement  et le dernier soupir.

Elle qui donne la vie et assassine.

La vérité déroute et révèle

Elle illumine et irradie,  et même creuse les charniers

C’est le feu et l’eau, la lumière qui ridiculise l’artifice.la grâce et le sortilège, le souffle divin .le vin de l’esprit et de l’âme.

Elle est le chemin et l’unique voie du bonheur et de la paix.

La vérité n’a aucune limite puisqu’elle est toute l’énergie qui fait bouger les hommes, les montagnes, les choses et les nuages.

Elle est toute l’univers et ses faces cachés.

Elle est toute l’humanité, car aimer et vivre la vérité c’est rien d’autre qu’aimer toute l’humanité.

Tout est  contenu dans son cercle, elle est la lumière diffuse qui tourne et vit à l’intérieur de nous.

Nous qui sommes égarés, dans la plus haute indigence, et nous ne savons plus rien donner, rien donner  que les remugles de l’ignorance.

 

 

MAHREZ

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16 juillet 2005 6 16 /07 /juillet /2005 00:00

 

                      A mort la mort
                            Par
                             
                           BIJU

Il fait bon résister et je résiste et je résisterais  jusqu’à la fin de ma mort.MOI le tunisien errant.

Fût-ce à l’encontre de toute rationalité, toute logique, toute raison ! Je ne crois pas à la valeur de l’ordre qui règne, régit et  déchaîne le monde.

Moi j’adore la vie  sur toutes ses coutures malgré tout, l’odeur de la grande bleue, toute puante, quand elle pousse à tailler la route vers cet ailleurs qui dans le fond n’existe pas….pour les cons ! Oui seulement pour eux, ils ont toujours le chic de prendre racine  dans les longueurs passéistes.

J’aime  la pluie d’été ,les paumés , les cocus , les perdants et les perdus , le RAP et la morue  la salée de Madère , et même celle qui fait le pied de grue ,qui fait  le parcmètre  sous un lampadaire pour un ruffian tatoué  qui sait que l’aventure n’existe plus .

J’aime aussi certains tunisiens sans savoir vraiment pourquoi , d’ailleurs rien ne sert de  connaître la plus part du temps le pourquoi et le comment des choses et des sentiments  , autant imaginer et rester assoiffé et affamé dans l’inconnu où tout est possible , tout , même l’impossible amour qui tue ,   qu’être déçu par  la réalité concomitante de notre folie et notre rage diffuse , muette , lâche  et refoulée  qui nous sape la vue et nous prend à la gorge par défaut  , plutôt que par animosité.

Et  je n’en ai rien à cirer si tu ne me crois pas , moi j’aime  le douceur de leur regard  et les plis de leurs caresses  ,surtout les tunisiennes qui sont l’avenir du monde , maman chérie , petites sœurs mon cœur bat en vous , de l’air  au nom de dieu , de l’air ! Pourquoi ben Ali existe ? Oui pour aimer les tunisiens on doit avant toutes choses aimer les tunisiennes, avec leur force , leur doceur , leur courage et leurs reins  serrées au plus bas,  à la fièvre et l’espérance ,  et leur chevelure qui font le tour de la mappemonde , et leurs mots si fins qu’on dirait ciselés par les diamantaires du temps , et leurs rires  lancinants posés  comme des modèles à l’innocence des yeux chérubins , de qui je cause ?Des tunisiennes et de ces  vieilles amazones de ce Djérid éternel  qui passent en riant  sur l’horizon des solitudes inquiètes et juvéniles .Le croiras-tu ? Le bonheur animal  dans sa frénésie me prend à la vue des actes de courage et d’héroïsme humains des tunisiennes  auxquels j’ai pourtant cessé de croire depuis longtemps, je continue à les vénérer par la force d’une droiture qui m’est chère, parce qu’héritée de millions d’années de solitude.

Elles m’ont tout donné et appris.

Aimer la Tunisie , c’est aimer tout simplement la vie , sans soucis  de logique.C’est ainsi et seulement , mon cœur , mes tripes ,mon sexe,  mon âme et mon esprit ,  qu’on finit par en découvrir le sens.Nous tunisiens nous tenons la moitié  de la vérité  puisque nous voulons vivre , même  en survivant par simple attouchements .Il ne nous reste plus qu’à conquérir l’autre moitié et nous serons sauvé pour l’éternité de l’infamie.

Nous ne pouvons exister , nous constituer , grandir , rêver , s’épanouir et dépasser que dans le souffle commun de notre liberté admise , entre nous et avec les autres hommes, pour nous et dans notre futur commencement , moi BIJU je vous le dis, le mystère de la relation dépasse de beaucoup celui de l'être.Il ne suffit pas d’aimer et de vouloir la vie et la liberté pour découvrir leurs sens.Ce sens  ne se révèle pas par l’opération du saint esprit  ou la filouterie des charlatans et des imposteurs.Le sens véritable , celui qui déplace les montagnes se produit , se crée , se prend et se donne.Il naît du don de l’exigence , dans la relation libre avec soi-même et autrui.Or un ordre maffieux et dictatorial , népotique qui n’est fondé que sur la force et la violence , sur les rapports d’exploitation , de domination et de mort , ou ordre nécrophage et morbide ,comme celui de Carthage  est un ordre condamné.

Et de l’autre côté  de la chaîne.

Pourquoi cette aliénation ?

Pourquoi  cette occultation néfaste et volontaire des fantastiques richesses de création que possède, que nous possédons, que possède chacun de nous ? Chaque tunisien.

Pourquoi en ce siècle de tous les savoirs , nous , tunisiens  qui sommes plus que d’autres le produit de l’Histoire , cette histoire humaine irrespectueuse  des gènes , des races , des origines  et des affirmations , nous, qui avons survécu à tant d’arbitraire , qui avons survécu à tant de massacres , de génocides et d’ethnocides programmés  par des génies du mal , nous qui avons vaincu tant d’épidémie , de pénurie , percé tant de mystère , fait reculer  de tout temps le désastre et la mort , nous sommes un miracle du genre et de l’espèce , sommes nous incapables de briser le carcan de nos rôles dans leur funèbre théâtre d’ombres, d’accueillir dans la démocratie , la liberté , la joie , la fraternité et l’amour ,  l’incroyable et  imprévisible rencontre avec notre destin choisi , de donner , enfin , un sens à notre vie et à notre mort aussi ?

Mort à la mort, et mort à ben Ali.

 

 

 

 

MENTEUR!

Menteur la Tunisie est malade
Il lui faut trouver des couleurs
Je crois qu’elle est en rade
Plantée au milieu de mon coeur

Ma mie ma Tunisie ne va pas bien
courbée, brisée sous le sacrilège
 trop de gens  crèvent comme des chiens
Et bien trop d’hommes pris au piège

Ma douce  j’ai peur qu’un de ces jours
Il ne pleuve l’horreur des  bombes
Et qu’on enterre notre amour
A tout jamais au fond des tombes

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00
Faouzi Skali, Traces de lumière. Paroles initiatiques soufies, (note de lectura)

Paru chez Albin Michel, 1996.
Dédicace: En hommage au Shaykh Sidi Hamza al Boutshishi al Qadiri.

Introduction
L’intérêt pour le soufisme en France a conduit à une connaissance approfondie des textes, et a été suscité par des œuvres exceptionnelles, comme celle de René Guénon (le Sheikh Abd Al Wâhid Yahyâ), ou les travaux plus universitaires d’orientalistes comme Louis Massignon ou Henry Corbin.
D’autres auteurs qui ont écrit sur le soufisme en français: Titus Burckhardt, Michel Chodkiewicz, Martin Lings ou Jean-Louis Michon. Pour ceux-ci, l’exigence d’une recherche critique rigoureuse est mise au service de la finalité spirituelle des enseignements en question.
L’amour spirituel est pour le soufi le mystère le plus profond de l’être et le moteur de la voie.
Le soufisme se dit la voie du cœur. Dans l’acception soufie, le cœur est le lieur de l’« intelligence du cœur », lieu où émotion spirituelle et intellection s’unifient en une seule vision irradiante, « illuminative ».
Du point de vue initiatique, la distinction entre amour et connaissance n’a pas de sens. Dans le chemin qui mène à la proximité de la Réalité divine, il n’y a pas d’amour sans connaissance, ni de connaissance sans amour.
« Cette voie du cœur est au centre même de l’enseignement christique, et c’est sans doute là l’une des raisons fondamentales pour lesquelles le soufisme peut susciter un élan, un appel, une nostalgie même, au sein d’une culture occidentale séculairement pétrie des valeurs de cet enseignement, même si elle reste par ailleurs engagée dans un large mouvement de désacralisation. » (p. 14)
L’action et la spiritualité ne sont pas pour le soufisme deux domaine séparés. Une action véritable est une forme d’adoration, tout comme une attitude spirituelle peut être porteuse d’action efficace.
Proverbe soufi: « Les plus séparés de Dieu sont les ascètes par leur ascèse, les dévots par leur dévotion, les savants par leur science. »
Sentence soufie: « Notre science est entièrement allusive, lorsqu’elle se fait explicite, elle s’occulte. »
« L’essentiel est par-delà les mots. Il est dans ces réalités vécues, ces états d’être et de conscience, ces ouvertures intérieures dont les mots ne sont que des lointains reflets, des traces de voyage. Traces de lumière. » (p. 17)
Sentence soufie: « Le soufi est le fils de l’instant. » (p. 17) Autrement dit: les expériences de l’instant prévalent sur une nostalgie du passé ou sur une crainte de l’avenir.
Proverbe soufi: « Les saints se revêtent des habits de leur temps. »
Proverbe soufi: « Il y a autant de voie qu’il y d’enfants d’Adam. »
L’essence du soufisme échappe à des conditionnements culturels ou à ceud des systèmes de pensée. Elle peut s’exprimer à travers différents contextes culturels ou formes de pensée, sans s’y identifier.
Proverbe soufi: « A chaque lieu [degré de connaissance], correspond un enseignement. »
Les grands maîtres soufis ne quittent pas la forme traditionnelle, même si celle-ci se revêt d’une tout autre signification. Ce n’est donc que par une méconnaissance profonde de l’initiation et des réalités de l’expérience spirituelle que l’on peut décider de mépriser les formes, dans un état de conscience où l’on est de toute façon entièrement conditionné par ces dernières.
« Tous les faux gourous, puisant plus ou moins dans cet argument [celui de la libération de toute forme – n.n.], appellent à un dépassement des formes à travers une « asdociation fraternelle-universelle» pour finir par constituer la forme la plus fermée, la plus coupée de son environnement, la plus dangereuse, non seulement pour l’épanouissement spirituel, mais déjà pour l’équilibre psychologique des individus qui y adhèrent: la secte. » (p. 20)
Le guide spirituel a la transparence d’un miroir qui nous renvoie sans cesse à nous-mêmes.
De l’âme du guide à l’âme du disciple se dit un enseignement qu’aucune langue ne peut traduire.
Hikam = sapiences.

Un éclair dans la nuit…
« La mort, ô ami, n’est pas seulement la fille de cette vie, elle en est aussi la mère. » (p. 24)
« Sois donc ton propre témoin, car c’est en chaque instant que tu vis et en chaque instant que tu meurs. » (p. 24)
« Je suis comme le voyageur abandonné au milieu d’une route qu’il ne connaît pas. Il ne sait, dans sa perplexité, s’il avance ou s’il recule. Il a tellement hésité, il s’est tellement perdu qu’il ne sait même plus quel est le but de sa recherche. Il n’est plus qu’un vagabond mais il sait au fond de lui-même qu’il fut un temps où il était voyageur. » (p. 25)
« Ce chemin, ô ami, tu t’y es perdu parce qu’il n’est pas le tien. Tu as emprunté les allées et les avenues des autres voyageurs parce qu’elles étaient fréquentées et que tu croyais les connaître !
Ce chemin, ô ami, tu t’en es détourné parce qu’il te fait peur. C’est un chemin sur lequel tu es l’unique voyageur.
Tu as peur qu’en le prenant, ton nom ne soit effacé des mémoires et que pour toi-même comme pour les autres, tu ne sois plus qu’un étranger.
Il n’a ni traces ni contours, ni forme ni couleur. Il a cependant une saveur que toi seul sauras reconnaître. C’est là, ô ami, la seule conquête qui, pour toi, puisse compter. Souviens-toi que les paumes, que l’homme de Dieu tourne vers le ciel, sont plus tranchantes que le fil de l’épée. Arme-toi, ô ami, de courage et sois sans crainte. La mort sur ce chemin vaut mieux que mille vies! » (p. 25-26)

La rencontre des âmes
« En toi, au-delà de toi-même, se trouve un être de lumière. » (p. 29)
« Mais avant de connaître ce secret suprême, il te fraudra faire un long chemin et percer bien d’autres mystères. Un long voyage pour lequel tu as besoin de toutes tes forces et de toute ton énergie. Sois déterminé et resserre ta prise. Aiguillone ton âme, ne lui laisse point de répit. Ne la laisse pas te distraire par de vaines questions. Sache qu’elle fera tout pour échapper à la mort certaine vers laquelle tu la conduis. Ses ruses sont innombrables. Sois donc vigilant: elles feraient pâlir les tours du démon. Telle une sentinelle, elle monte la garde sur le trésor qu’elle défend. Tel un talisman magique, elle ensorcelle tes yeux et tu ne cesses de chercher, hagard, ce que tu n’as jamais perdu. » (p. 30-31)

La réalité
Hadith Qudsî: « Je suis auprès de ceux dont le cœur est brisé. »
« Les hommes, ô ami, sont comme « ivres mais ne sont pas ivres ». Ils mangent les fruits mais ne voient pas l’arbre. Leur cœur est plus vaste que le ciel et la terre mais leur âme est transie de peur. Leur raison ne peut voir que la face extérieure du monde mais c’est pourtant à elle qu’ils délèguent leur pouvoir. Lorsque tous les bateaux chavirent et que du fond des entrailles de l’océan monte vers le ciel la détresse des voix, écoute, ô ami, tous les cris qui t’habitent. » (p. 34)
« Il est deux sortes de méditation.
L’une est celle de l’attestation et de la foi,
L’autre est vision et contemplation.
La première est pour ceux qui savent lire les signes,
La seconde pour les hommes de la contemplation et du discernement. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

La Réalité se voile non par l’éloignement, mais par la proximité.
« Comment pourrait-on imaginer qu’une chose puisse Le voiler
alors que c’est Lui qui manifeste toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il se dévoile par toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il se dévoile en toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il s’est manifesté à toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il s’est manifesté avant l’existence de toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est plus manifeste que toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est l’Unique, avec Lequel aucune chose n’existe;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est plus proche de toi que toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors que s’Il n’était aucune chose n’existerait.
Ô mystère! Comment peut apparaître l’Etre dans le néant
ou comment peut subsister le temporel
avec Celui qui a l’attribut de l’éternité! »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
La Réalité est Dieu.

Ton compagnon
« Ton véritable compagnon, ô ami, est celui qui t’a choisi bien qu’il connaisse ton état. Il t’a choisi pour toi-même et non pour le profit qui pourrait lui revenir de toi.
Car ce n’est pas à toi qu’il appartient de choisir, mais à Celui dont ton cœur est entre les deux doigts. » ( p. 41)
« Ton ultime illusion serait de croire qu’il te faudrait te défaire de tes préoccupations avant de te tourner vers Lui. » (p. 41)
« Qui a la capacité de dévoiler les secrets des hommes et ne se revêt de la Miséricorde divine, son dévoilement ne serait pour lui qu’une cause d’épreuve et de malheur. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Tu te tournes vers les créatures
Tant que tu ne vois pas Le Créateur,
Mais si tu Le vois, ce sont les créatures
Qui se tournent vers toi. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Un compagnon pire que toi
risque de te donner l’impression que tu es bon,
alors que tu es peut-être mauvais. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Ne sois pas le compagnon de celui dont l’état ne t’éveille pas et dont la parole ne t’oriente pas vers Dieu. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Comment pourrait s’illuminer un cœur dont le miroir est imprégné de l’image des créatures?
Comment pourrait-il voyager vers Dieu, enchaîné de ses passions?
Comment pourrait-il prétendre entrer en la Présence de Dieu sans s’être purifié de ses négligences?
Comment peut-il espérer comprendre les subtilités des secrets s’il ne revient pas de ses faux pas! » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
Le plus grand ennemi dans le soufisme est la satisfaction de soi-même. Celui qui se satisfait de lui n’adore que lui-même.
« La racine de tout désaccord, inconscience et passion est la satisfaction de soi-même.
La racine de tout accord, éveil et pureté est l’insatisfaction de soi.
Il vaut mieux pour toi prendre comme compagnon un ignorant non satisfait de lui qu’un homme de savoir satisfait de lui.
Que vaut d’ailleurs la science d’un savant satisfait de lui-même.
Et peut-on parler d’ignorance à propos de celui qui n’est pas satisfait de lui? » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Les lumières
« Sors, ô ami, de ces marécages que tu nommes réalités; et ne considère plus ton âme avec les yeux de la complaisance. Il n’y a pas de prison plus sûre que celle à laquelle on s’attache ou celle que l’on ne voit plus. » (p. 51)
Pour se rapprocher de l’Aimé il faut à la fois dépasser les souffrances des ténèbres et les tentations du paradis.
« Souviens-toi de ceci: les hommes de ce monde construisent souvent eux-mêmes leur malheur par leur désir intense de félicité. C’est que dans leur recherche effrénée ils oublient ce simple secret: le bonheur, ô ami, ne se trouve pas dans les choses ou les événements mais dans le regard que l’on porte sur eux. » (p. 53)

Si tu étais sincère…

Hadith Qudsî: « La sincérité est un secret parmi Mes secrets que Je dépose dans le cœur de ceux que J’aime parmi Mes serviteurs. Il n’est pas d’ange ni de démon qui puisse le découvrir pour le consigner ou l’altérer. » (p. 57)
La sincérité consiste en ce que l’envol de l’intention ne se porte que vers le Seigneur.
Hadith: « Le polythéisme caché est telle une fourmi noire sur une pierre noire par une nuit noire. » (p. 58)
« Celui qui est dans la voie de la sincérité aime les créatures pour elles-mêmes. Celui qui vit pour son image aime les créatures pour lui. » (p. 58)

Tes œuvres

Il ne faut pas exiger des miracles.
Il ne faut pas abandonner ni les actes ni les œuvres. Il faut tout faire avec un cœur détaché. Il ne faut rien attendre de retour et rester fidèle au Maître choisi.
« Laisse, ô ami, la Vérité submerger toutes tes attaches intérieures. Laisse ses flots tumultueux conduire ton vaisseau. Expose tes voiles aux souffles de ses vents. Sache reconnaître, dans le chemin étoilé de tes nuits, ses signes et ses appels, et dans tes jours ensoleillés, son don de lumière. » (p. 62)
« C’est par l’offrande des œuvres, ô ami, que tu affines ta sincérité. Ce ne sont pas les œuvres qui te mènent à la Vérité, mais ce sont elles qui te disposent à Le recevoir. Tu te préoccupes d’obtenir la connaissance et oublies de te préoccuper de ce que la connaissance exige de toi. Cette connaissance, ô ami, ne se conquiert pas, elle se dévoile à ceux dont le cœurs se prosternent.
Mais avant que ton cœur ne vienne à s’incliner, il te faut longtemps marquer ton front de l’empreinte de la terre. Celui qui se tient devant la porte et frappe sans se lasser la verra peut-être un jour s’ouvrir. Cette attente, ô ami, crée en toi un vide salutaire. Ne te précipite pas, laisse le fruit mûrir. » (p. 63)
« N’abandonne pas l’invocation
Parce que tu n’y es pas présent à Dieu
Car ta négligence de l’invocation
Est pire que ta négligence en elle.
Peut-être t’élèvera-t-Il d’une invocation faite avec négligence
A une invocation faite avec vigilance
Et d’une invocation faite avec vigilance
A une invocation où tu deviens présent
Et d’une invocation où tu deviens présent
A une invocation où tu deviens absent à tout ce qui est autre que l’Invoqué. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Tes actes

Les actes sont le tissu de l’âme. Mais c’est l’intention qui les traverse.
Les actes naissent dans le creuset du cœur. Si le cœur est pur, les actes sont purs.
« Guéris les altérations de ton âme en t’appliquant à agir à l’inverse de ses désirs. » (p. 69)

Les maladies de l’âme

« Prends garde de ne point remplacer des erreurs grossières par d’autres plus subtiles. Il est des faims plus dangereuses que les satisfactions et de délicieuses nourritures qui sont un poison mortel. » (p. 71)
« Sache, ô ami, que si ton corps t’attire vers le monde sensible et la matérialité, ton âme t’enchaîne de liens invisibles: l’orgueil, l’envie, la cupidité sont quelques-uns de ses multiples rameaux. Le désir secret ou dévoilé de faire partie des élites, la volonté d’être reconnu et de dominer, de discourir sur les connaissances subtiles et élevées. Mais l’esprit lui-même, ô ami, n’est pas exempt de défauts. Et dans la mesure où l’âme s’élève, ceux-ci sont plus difficiles à saisir. La recherche des miracles, des joies et des félicités, de degrés de la connaissance et du dévoilement de mystères. Tout ceci n’est que procession de voiles qui s’élèvent devant la Vérité. Si tu te laissais attirer sur cette douce pente, il naîtrait dans ton âme un orgueil dont celui des puissants de ce monde ne serait qu’un pâle reflet. Dès lors que le pharaon de ton âme s’éveillera, il prétendra à la déité! » (p. 72)
« Celui qui connaît la Vérité la voit en toute chose,
Celui qui s’est anéanti en Elle devient absent à toute chose
Et celui qui L’aime ne peut rien Lui préférer. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Assure-toi que sur ce chemin tu ne demandes rien d’autre que la Vérité. Sache, ô ami, que face à Elle, les ruses ne peuvent t’être d’aucun profit. C’est la Vérité, ô ami, qui donne l’être à toute chose. C’est Elle qui crée et qui guide. C’est par Elle que les cieux et la terre perticipent à une seule et même harmonie. Ecoute par Elle, ô ami, et tu entendras l’étrange et profonde symphonie de l’univers. Ne cherche donc point à faire, mais seulement à recevoir, ne cherche point à voler ce qui t’est offert. » (p. 75)
« Pour chacune de tes maladies, applique l’antidote qui convient. Contre l’envie, rafraîchis ton œil à la source du don. Contre l’avidité, cultive un cœur reconnaissant. Contre le désir de célébrité, la recherche d’une vie obscure. Contre la satisfaction de soi-même, une soif illimitée. Contre l’inconscience, fais de la mort une amie et de l’invocation ton alliée. Contre la précipitation, revêts-toi d’une belle patience… jusqu’au moment, ô ami, où tes qualités ne seront plus les fruits de l’effort, mais ceux de la contemplation.
Elles seront pour toi autant de fenêtres ouvertes sur l’éternité. Ne confonds cependant pas effort et artifice. Le premier est l’expression de ta demande et le second n’est que mensonge et illusion. Mieux vaut, ô ami, une erreur qui te rapproche de ta propre vérité qu’une vertu qui t’en éloigne. Le voile de l’obscurité crée, certes, chez le voyageur, le désir d’y échapper. Que dire de celui de la lumière? » (p. 76-77)
« Dans cette voie, ô ami, tu veux devenir parfait. Mais ce qui te voile à ta perfection est l’idée même que tu t’en fais. Cesse, ô toi qui cherches la Vérité, de vouloir devenir un saint car cela même t’empêche de te voir tel que tu es. Ta sainteté, ô ami, consiste pour toi à être plus rusé que le démon car c’est seulement ainsi que tu pourras déjouer ses tours.
Ne crois pas qu’il y ait dans mes propos une incohérence car la ruse est vaine devant la Vérité, mais te sera d’un grand secours face à l’illusion. » (p. 77)

La perfection

« Ta pensée ne cesse de composer et de recomposer la multitude des événements qu’elle perçoit, espérant les intégrer dans une figure ultime qui en fournirait l’explication. Une figure parfaite où tu trouveras l’équilibre et la paix que tu as tant désirés! Abandonne aussi, ô ami, cette illusion! » (p. 81)
« Ne sois donc pas comme celui qui, voulant puiser l’eau d’un puits, s’est muni d’un tamis. Cesse, ô ami, de vouloir faire contenir l’océan dans un verre. Ne crois pas saisir les secrets subtils de la main infirme de ta pensée. La Vérité est chaque instant dans une chose nouvelle. Dès lors que tu crois l’avoir saisie, c’est plus loin qu’elle t’appelle. » (p. 82)

Tes chaînes…

Les chaînes du monde n’existent nulle part que dans l’homme même.
« Comment pourrait s’interrompre pour toi le cours habituel des choses si tu n’interromps pas, en ton âme, ses propres habitudes. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
Les voiles sont les habitudes que nous tissons autour de nous.
Pour dégager le champ de la vision il faut déconstruire tour à tour les habitudes jusqu’à les rompre.
« Les ascètes rompent leurs habitudes sensibles et les règles du monde sensible se suspendent alors pour eux. Ils peuvent marcher sur l’eau, voler dans les airs, supporter des jours durant la soif et la faim. Leur vision peut traverser le temps et l’espace. Mais les sages sont ceux qui rompent leurs habitudes intérieures. Ils remplacent l’orgueil par l’humilité, la jalousie par le don d’eux-mêmes, la vanité par la sincérité, la haine par l’amour et la confusion par la sérénité. Ce ne sont plus les règles du monde sensible qui leur livrent leur secret, mais celles de l’esprit. Ce ne sont pas les miracles du monde qui leur sont donnés, mais celui de la rectitude intérieure. » (p. 90)

Tes qualités

Au-delà de nos qualités il est d’autres plus grandes. Au-delà de notre compassion et de notre connaissance il est d’autres plus grandes. Il ne faut pas oublier cela, sinon nos qualités deviennent des défauts, notre compassion et notre connaissance des formes de prétention.
« Seul au vrai sage, ô ami, sont véritablement remis les pouvoirs suprêmes. Seul celui qui agit par la Vérité et non par lui-même devient le lieu du dépôt du secret. Celui dont la vision intérieure s’est éclairée sait qu’il n’est pas d’autre pouvoir que celui de la Réalité infinie.
Mais l’homme d’aujourd’hui, ô ami, est certes imbu de sa propre prétention. Les reflets de pouvoir qu’il s’attribue le rendent bien loin d’une telle perception. Il n’a connu qu’une portion infime des choses et il s’en est contenté!
Lorsque, ô ami, tu débordes de bons sentiments, méfie-toi cependant de ne pas t’éloigner de la droiture de l’intention. Assure-toi, ô ami, que l’or de cette richesse ne soit pas un simple vernis. Prends garde: l’écume de la vague peut avoir la prétention d’englober la mer. » (p. 95-96)

Ton « Moi »

Sur le Moi: « Il est l’aune à laquelle tu veux mesurer les mystères et les vérités. Sa trame est faite de la vanité des hommes et de leurs prétentions mais c’est en lui seul que tu veux croire. Ses caprices sont des ordres, ses désirs des ultimes vocations, des devoirs. Nos maîtres d’école nous ont souvent enseigné comment il nous fallait l’embellir. Bien peu sont ceux qui nous ont parlé de la nécessité de nous en défaire, de la manière de suivre le chemin ténu, plus fin qu’un cheveu, plus tranchant que l’épée, qui nous permettra d’aller au-delà de ses frontières et d’échapper à ses ruses. » (p. 99-100)
L’accomplissement de la perfection est dans l’imperfection.
« Rien ne te mène autant que l’illusion. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Celui qui se proclame humble fait preuve d’un véritable orgueil
Car l’humilité dérive en réalité d’une grandeur.
Dès lors que l’on s’attribue cette grandeur
On est orgueilleux en vérité. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Si tu te sens, ô ami, plus important qu’une fourmi, qu’un ver de terre, sache que tu dois encore faire un long chemin. Si tu te sens plus important que bien des humains, ne pense plus, ta vie entière, qu’à une seule chose: délivrer ton âme d’une telle maladie. » (p. 101)
« L’humilité, ô ami, vient de la vision de la Vérité. Elle n’est pas le sentiment d’infériorité qui vient de la prétendue grandeur des hommes.
L’humilité des sages est cachée par les dons qui leur sont faits. Mais leur cœur est cependant dénué de toute prétention. Ils savent que les qualités s’expriment en eux mais n’émanent pas d’eux. Au-delà du don ils voient le Donateur. » (p. 102)

De l’amour et de la haine
« Seul connaît la paix, ô ami, celui dont le cœur est sans haine. Mais celle-ci a élu domicile dans le cœur des hommes car c’est par elle que se maintient l’existence des formes. Toute forme définie est menacée de destruction. Toute menace suscite haine et colère. Pour dépasser la haine, il faut aller à la racine de toutes les formes en ce lieu secret où point l’amour. De ce lieu, ô ami, jaillit l’étincelle divine. Elle seule peut vaincre la loi de la nécessité dans laquelle s’inscrivent les formes. Celle de leur action et de leur réaction, de leur cause et de leur effet, de leur affirmation et de leur négation, de leur victoire et de leur anéantissement. Celui qui est parvenu à la racine de l’être comprend qu’au-delà de la multitude des formes, et à travers elles, seules sont à l’œuvre les qualités de la perfection. C’est ce secret, ô ami, qu’emportent dans leur cœur les hommes de l’amour dans ce monde de désolation. » (p. 103-104)
Les formes cachent en même temps ce qu’elles révèlent. Elles sont à la fois voile et porte d’accès.
L’amour seul peut nous porter au-delà de nos limites et des limites de ce monde.

L’Amour et l’aimé

Dans le voyage, certains sont conduits à Lui par le culte des œuvres et d’autres par celui de l’amour.

L’ivresse

« La meilleure des voies, ô ami, est une ivresse perpétuelle. Même si ton apparence extérieure reste sobre, il faudrait que la coupe de ton âme puisse sans cesse goûter à ce vin de félicité. Lui seul, ô ami, saura te préserver de la sécheresse intérieure. » (p. 115)
« L’ivresse, ô ami, est pour toi la source de toute clarté. L’homme ivre suit sans effort une voie limpide. Il n’agit pas de lui-même mais c’est le vin qui agit en lui. Ses paroles sont des poèmes, ses silences des voyages. Le vin de l’esprit te libère, ô ami, de tes propres pesanteurs. Tel un oiseau libéré de sa cage ton ivresse vient du mouvement libre des ailes de ton âme. » (p. 115)
L’ivresse divine libère de la vanité et dicte la noblesse du comportement.
« L’ivresse, ô ami, inspire la libéralité à l’homme mesquin et calculateur, elle inspire bonté et générosité envers ceux qui te sont étrangers. Elle donne du courage au poltron et de la verve au timide. Elle rompt tes limites et tes résistances et projette hors de toi ton être de lumière. » (p. 118-119)

Les mots

« Celui qui parle, nous le reconnaissons à l’instant,
et celui qui se tait, nous le reconnaissons en un jour. »
(Sayyidunâ Alî)

« Les mots ne sont que des enveloppes extérieures; ils émettent hors de la bouche le parfum du cœur qui les émet. Pour les reconnaître il faut un flair particulier. Sois vigilant, ô ami, car les mots que tu entends peuvent t’être d’une grande utilité. Les mots que profère un cœur sec ne sèmeront en toi que désordre et confusion. Mais ceux qui viennent d’un cœur éveillé peuvent te sortir de ta torpeur. Ils peuvent semer en toi la tempête et détruire les idoles intérieures. Mais après la guerre doit venir la paix. Un mot, un simple mot, que ton cœur aura compris pourra être la semence de l’arbre de vie dont les racines s’engagent profondément dans ta terre et dont les branches s’élèvent dans le ciel de l’âme. Chaque fruit est une connaissance et chaque fleur une houri. » (p. 121-122)
« La parole des sages, ô ami, est un grand mystère. Certains ont reçu la connaissance contemplative mais n’ont pas reçu le droit de l’exprimer. Ils sont tels des puits de lumière. Leurs langues semblent percées. Rien ne remonte à leur surface sensible et leur secret reste gardé.
D’autres, ô ami, s’expriment par le langage de l’ivresse. Leur langue n’obéit plus à leur volonté mais à celle de l’état qui les consume. Peu comprennent ce qu’ils disent et beaucoup les prennent pour des possédés.
Il y a enfin, ô ami, ceux dont la perfection est accomplie. Ceux-là ne parlent plus pour eux-mêmes. Leurs paroles sont autant de germes qu’ils sèment dans les cœurs des voyageurs. Elles sont autant d’émissaires qui pressent les âmes à sortir de l’ombre vers la lumière. Ils disent leurs paroles selon ce qui peut être utile à leurs auditeurs. Et si le temps presse ils énoncent une seule et même vérité et chacun en tire sa substance nécessaire. » (p. 123-124)
« La sacro-sainte dignité de la science est telle, que ne peuvent en tirer profit ceux auxquels elle n’est pas destinée. » (Junayd)
Il est des perles de sagesse qui peuvent être aussi nuisibles à certaines âmes que des propos trompeurs.
Hadith: « Ne communiquez pas la sagesse à ceux auxquels elle n’est pas destinée car vous seriez injuste envers elle, et ne la refusez pas à ceux auxquels elle est destinée car vous seriez injuste envers eux. »
« Celui que tu vois répondre à toute question,
Exprimer tout ce qu’il contemple
Mentionner tout ce qu’il sait
Tu peux conclure à son ignorance. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Le véritable voyageur, ô ami, est sans artifice. Son âme est subjuguée par la quête de son voyage. Son cœur est dominé par le regard de la Vérité. Elle est la source de ses actes et de ses pensées. Mais celui qui a oublié qu’il était en voyage, celui-là reste préoccupé par lui-même. Son attention se porte sur son action et il cherche à s’en satisfaire. Celui qui s’exprime dans cet état d’esprit, ô ami, finit par décevoir ou être déçu. Mais celui dont la Vérité seule est le secret se laisse conduire dans des chemins qu’Elle seule connaît. Ses faux pas comme ses vertus sont l’expression de sa rectitude intérieure. » (p. 126)
« Mais si tu veux que la sagesse se manifeste sur ta langue il te faudra longtemps te taire. Il te faudra longtemps suivre des chemins obscurs car le fruit de la sagesse ne pousse que sur la branche de la sincérité. Si dans ton cœur se dévoilent quelques secrets ou mystères, garde-toi, ô ami, de les dévoiler car alors tu perdrais le profit pour lequel ils te furent donnés. » (p. 128)
« Il n’est pas parmis au voyageur
de s’exprimer sur ce qui advient en son cœur
Cela en diminuerait les effets en lui
Et l’empêcherait d’être sincère avec son Seigneur. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Le temps

Le temps est pour nous ou contre nous.
Les instants se succèdent mais ne se ressemblent pas.
« Si tu veux, ô ami, être dans cette voie une voyageur, il te faut prendre tes souffles pour monture. En chacun de tes souffles tu es dans une vie nouvelle, celle-ci est pour toi lumière ou obscurité. Mais chaque souffle qui passe ne peut être remplacé et chaque souffle qui vient a sa propre exigence. C’est donc une âme sans tache qui t’est donnée en chaque instant. Puisses-tu, ô ami, voir ce don! » (p. 132)
Le sage est celui qui reste vigilant aux exigences de l’instant.
« Il n’est exempt d’aucune ignorance
Celui qui veut qu’advienne dans l’instant
Autre chose que ce que Dieu y manifeste. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Que sur toi soit la paix!

« La paix n’est pas qu’une simple profession de foi. Elle est la conquête de l’esprit sur l’âme, la manifestation simple et limpide de ta propre vérité. Si elle ne domine pas les cœurs, la violence et la guerre seront l’air que respirent les pays les plus sûrs et les cités les plus tranquilles. » (p. 135)
Proverbe soufi: « Cherche-toi jusqu’à ce que tu te trouves, puis quitte-toi lorsque tu te seras trouvé. »
« L’insconscient, lorsqu’il se réveille, se dit: Que vais-je faire?
Et le sage: Que va faire Dieu de moi? »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00

Entretien avec Dominique Thomas : « Al-Qaïda est confrontée aujourd’hui à une certaine forme d’éclatement »                                     

 

 

 

 

 

Par Saïd           

 

 

Dominique Thomas est un véritable spécialiste des mouvements islamistes dont les travaux se caractérisent par une très grande rigueur qui contraste avec l’amateurisme de prétendus experts imposés par certains médias en quête de sensationnel. A travers cet entretien, Dominique Thomas, revient sur le mode de fonctionnement d’Al-Qaïda et des liens éventuels que cette organisation entretiendrait avec les réseaux salafistes djihadistes situés notamment à Londres. Maîtrisant parfaitement l’arabe, Dominique Thomas est l’auteur du livre intitulé : Le Londonistan, la voix du djihad aux éditions Michalon. Une étude exceptionnelle réalisée au terme d’une présence de plus deux ans sur le terrain. Un ouvrage à lire impérativement pour mieux appréhender ces courants islamistes prônant le combat révolutionnaire.

A quel univers politico-religieux correspond le terme Londonistan ?

Le Londonistan est en fait un terme qui a été créé par des journalistes de la presse arabe londonienne, au milieu des années 1990. Il désigne différents groupes et leaders islamistes qui sont venus s’installer dans la capitale britannique, et se sont présentés comme des opposants politiques. L’appellation ne désigne pas un quartier géographique proprement dit, mais on y retrouve de nombreux courants de l’islamisme contemporain, des frères musulmans jusqu’aux salafistes djihadistes. Cette diversité donne au Londonistan toute son originalité.

Pourquoi Londres constitue le centre politique d’une forme d’internationale islamiste ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que Londres est le centre politique de ce que l’on appelle l’internationale islamiste. Au départ, Londres rassemblait un certain nombres d’atouts : une législation d’accueil plus souple que dans d’autres territoires européens, l’une des plus grandes plates-formes de la finance islamique internationale, et enfin la présence d’un paysage médiatique arabe important avec de grands quotidiens (Al-Quds al-Arabi, Al-Sharq al-Awsat, Al-Hayat) et télévisions (MBC, ANN et Al-Jazira). Tous ces éléments ont favorisé l’arrivée d’investissements, la création d’ONG islamiques (Islamic Charities), et surtout, ils ont permis aux leaders islamistes, arrivés sur le territoire comme réfugiés politiques, de pouvoir disposer de moyens de communication accrus, qu’ils n’auraient pas pu avoir dans leur pays respectif, d’où la référence à une voix. C’est ce qui a donné à Londres cette importance, comme un pôle de communication islamiste sans équivalent ailleurs. Pour autant, le centre politique de l’internationale islamiste est vaste, on le trouve éparpillé sur l’ensemble du monde musulman.

Quel est le fondement idéologique du courant salafiste djihadiste ?

Le salafisme djihadiste est né au milieu des années 1980 en Afghanistan, à l’époque du djihad contre l’occupation soviétique. Des sheikhs comme feu Abdallah Azzam et Oussama Ben Laden ont grandement contribué à son essor. Il s’agit d’une lecture de l’Islam basée sur ses fondamentaux, à savoir le Coran et la Sunna du Prophète Muhammad (SAWS), lecture qui reste très proche du sens originel sans y intégrer de nouvelles interprétations contextualisées, qui seraient perçues comme des innovations condamnables (bidaa). Sur le plan du droit (fiqh), les références privilégiées sont celles des juristes de l’école hanbalite (Ahmad Ibn Hanbal, Ibn Kathîr, Ibn Taymiyya, Ibn Qudamma, Ibn Qayyim ou encore Ibn Abdel Wahhab), qui font partie des pieux ancêtres (salaf saleh) suivant les recommandations de la première communauté du Prophète (SAWS), le minhâj al-rasoul (SAWS). Dans le salafisme, certains principes revêtent d’une importance capitale, comme le tawhîd (toute association divine autre qu’à l’encontre d’Allah, swt, est condamnable, ainsi que toute adoration hormis Allah, swt), le devoir de hisba est primordial (amr bil-maarouf wa nahi an al-mounkar, autrement dit ordonner la vertu et interdire le mal), ainsi que le fondement al-walaa wal-baraa (qui consiste en fait à s’éloigner des régimes ou des groupes non islamiques et d’épouser les principes de la loi divine, la charia). A cela, s’ajoute le djihad, considéré aujourd’hui, par les militants salafistes djihadistes, comme une obligation individuelle obligatoire (fard ayn), qui reste un combat (par le prêche, l’argent et les armes) contre toute forme d’occupation ou d’asservissement des territoires musulmans. C’est donc un agrégat entre une lecture fondamentale de l’Islam, le salafisme, et un combat plus révolutionnaire, le djihad. Le modèle politique appliqué le plus proche était celui des Taliban avec l’Emirat Islamique d’Afghanistan.

Quel est le profil des leaders du Londonistan ?

Si l’on résume, il existe deux types de profil. Les premiers sont plutôt des islamo-nationalistes. Ce sont des opposants politiques classiques qui défendent un programme politique fondé sur l’Islam, orienté vers leur pays respectif. On peut citer notamment les Tunisiens du groupe al-Nahda, les Algériens du FIS, des Egyptiens et Syriens des Frères Musulmans, ainsi que divers opposants de la péninsule arabe.

Ensuite, on trouve d’autres militants qui privilégient une vision globale du monde islamique et aspire à des révolutions islamiques internationales qui conduiront, à terme, à la restauration de leur idéal : le califat. Pour ces derniers, le combat politique ne revêt pas de préférence nationale, c’est le cas des groupes comme Supporters of Shariah ou encore al-Mouhajiroun.

Le courant salafiste djihadiste à Londres entretient-il des liens avec les réseaux d’Al-Qaïda ?

Je serais tenté de dire oui, mais seulement pour les oulémas qui ont connu une expérience djihadiste en Afghanistan, dans les années 1990. C’est le cas du sheikh Abu Qatada al-Filastini, qui est réfugié politique en Grande-Bretagne et qui faisait partie du comité de fatwas d’al-Qaïda, dès sa création en 1988. C’était le cas également de l’opposant Khaled al-Fawaz qui dirigeait, de Londres, le Bureau du Conseil et de la Réforme entre 1994 et 1998. Cette institution fut créée à l’initiative du sheikh Ben Laden, afin de pouvoir disposer d’un point de communication en Europe. Pour le reste, les contacts sont indirects. Des prédicateurs proches de ce courant jouent un rôle de connecteurs et cherchent à insuffler, sur des groupes, l’idéologie salafiste. Ce fut le cas notamment de la mouvance algérienne, où le sheikh Abu Qatada joua un rôle important dans la structuration du GSPC (Le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), en s’écartant des méthodes condamnables des différents GIA.

Le gouvernement britannique de Tony Blair peut-il encore se montrer « complaisant » à l’endroit de ces militants djihadistes ?

Au départ, les Britanniques ont essayé de composer avec la présence islamiste. Ils cherchaient à avoir une lisibilité plus claire des oppositions aux régimes arabes, de manière à anticiper peut-être une prise de pouvoir ou de préserver les intérêts britanniques de cibles éventuelles.

Depuis la fin des années 1990, les choses ont changé. Le gouvernement Blair a modifié sa législation au niveau des organisations islamistes, et il a engagé une vague d’arrestations et de répressions importantes. Aujourd’hui, il faut rappeler que des personnages comme Khaled al-Fawaz ou encore Abu Qatada ont été arrêtés, sans d’ailleurs avoir été jugés, ce qui les place d’ailleurs dans une situation juridique particulière, car aucune charge précise n’est retenue contre eux. Les autres militants djihadistes qui ont été arrêtés sont nombreux, notamment au sein de la mouvance algérienne. Il leur est reproché d’avoir voulu fomenter des opérations sur le territoire britannique, ou d’avoir eu des contacts avec l’extérieur, dans la préparation d’attaques sur d’autres continents. Cependant, on remarque que, en dehors de ces accusations, les faits ne sont pas toujours établis.

Comment est structurée Al-Qaïda et que représente-t-elle véritablement ?

Al-Qaïda a vu le jour à la fin des années 1980, dans un but précis : Prendre le djihad en Afghanistan comme modèle et le disséminer dans le reste du monde arabe, afin de pouvoir créer des oppositions islamistes capables de s’emparer du pouvoir. Au départ, l’organisation était structurée comme les autres mouvements islamistes, avec plusieurs comités opérationnels.

Aujourd’hui, une certaine forme d’éclatement peut définir la mouvance. Il existe, à un premier niveau, un cercle d’idéologues qui composent le premier noyau, parmi lesquels figurent les sheikhs Ben Laden et Al-Zawahiri. Ensuite, on trouve de nombreux connecteurs, qui sont des sortes de « prédicateurs » du djihad, (on emploierait le terme de missionnaire si on utilisait une terminologie chrétienne). Ils sont chargés d’exporter la vision du salafisme djihadiste et de trouver des alliés au niveau des organisations djihadistes qui opèrent sur le terrain. Le dernier cercle est enfin composé de groupes islamistes qui, sans le soutien logistique, financier et idéologique de la part d’Al-Qaïda, n’auraient que peu d’influence sur le terrain ; on parle pour ces dernières des organisations franchisées, même si le terme est, à mon sens, trop connoté de manière commerciale. Al-Qaïda fait plutôt penser à un système tribal avec différents clans et familles.

Les auteurs des attentats de Madrid sont-ils liés à une chaîne de commandement du réseau Al-Qaïda ou sont-il issus « d’une chaîne de franchisée » ?

Tout d’abord, on remarque, dans les différents communiqués de revendication, une certaine forme d’amateurisme idéologique, qui laisserait penser que l’on ait à faire à un groupe qui se situe à la périphérie de la mouvance djihadiste internationale. Les auteurs ont rédigé leur communiqué dans un arabe correct, mais caractérisé par l’absence de formules traditionnelles du salafisme originel. De plus, il apparaît plus que douteux qu’un musulman pieux et respectueux de la tradition puisse laisser une revendication comportant des références islamiques dans un lieu aussi impur qu’une poubelle. Ce manque de culture religieuse est significatif chez les sectes extrémistes islamistes, comme la mouvance du takfîr.

Il faut souligner qu’un personnage comme Abu Dahdah, emprisonné depuis 2001 et véritable tête de pont des cellules djihadistes en Espagne, a qualifié ces explosions de barbares et contraires aux principes islamiques. Le fait aussi qu’un communiqué du 17 mars, émanant de la direction politique d’al-Qaïda, ait voulu recadré l’idéologie du groupe de manière plus internationaliste ; cela montre combien le choix des cibles dans les opérations de Madrid n’ait pas été épargné par les critiques, au sein même des militants djihadistes.

Peut-on réellement lutter contre cette forme de terrorisme ?

Tant que les gouvernements américains et ses alliés ne comprendront pas que les solutions à apporter sont politiques, les risques d’une confrontation entre les partisans du djihad armé et les nations occidentales seront présents. Aujourd’hui, les terrains de conflits sont nombreux, ils nourrissent les frustrations et entretiennent les déceptions dans les sociétés islamiques qui n’entrevoient aucune issue favorable en vue d’un processus de développement futur. L’Irak reste un chantier à ciel ouvert, la situation de la question palestinienne est dramatique, et l’ouverture politique dans le monde islamique est sans cesse reportée. Si l’on ajoute à cela une perte d’identité islamique dans certaines sociétés du monde arabe, al-Qaïda aura encore de beau jour devant elle, à moins que la communauté musulmane se décide à apporter d’autres solutions moins radicales que celles prônées par la mouvance d’Oussama ben Laden.

Propos recueillis par Saïd

Dominique Thomas est diplômé de l’Institut national des langues et des civilisations orientales et de l’Institut d’études politiques de Paris. Il a séjourné plusieurs années au Proche-Orient.

 

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00

Interview Donnée par Nadia Yassine à l’Hebdomadaire Al Osbou’iya Al-Jadida

l’Hebdomadaire Al Osbou’iya Al-Jadida

Les américains entretiennent des contacts avec les leaders de l’Association Justice et Spiritualité à travers plusieurs canaux, fait confirmé par les concernés et interprétés par certains comme des indicateurs pouvant aboutir à une certaine formule d’intégration de la Jamaa dans la scène politique marocaine. Qu’en dites vous ?

Au nom de Dieu Le Clément, Le Tout Miséricordieux et que Le Salut et La bénédiction divine soient sur le sceau des Prophètes. S’il y a eu réellement des déclarations des dirigeants de notre mouvement à propos de ces contacts, cela les concerne directement et je ne peux me prononcer à leur place. Par contre, je peux parler de ce qui me concerne. J’ai été invitée par l’Université Berkeley en ma qualité d’intellectuelle. Je n’ai été invitée ni par la Maison Blanche ni par le Pentagone, ni par aucune autre instance officielle. L’université qui m’a invitée est fort connue par son opposition ferme à la politique américaine officielle, notamment celle du président Georges Bush.

Mais l’invitation qui vous a été adressée est venue à un moment où le climat international est imprégné d’une forte hostilité à tout ce qui a trait à l’Islam, partant du postulat suivant : que toute idéologie islamique est par essence terroriste. Ne croyez -vous pas que les choses ne sont pas aussi simples que vous les présentez ?

Je suis d’accord avec vous lorsque vous affirmez qu’il y a aux Etats-unis une forte tendance qui fait que l’état de droit cède la place à des décisions sécuritaires imposées à tous, même aux sphères considérées auparavant comme des espaces libres. La supposition que vous avez avancée est fort plausible mais dans tous les cas, cela prouve que le mouvement Justice et Spiritualité n’est – selon les américains eux-mêmes – pas terroriste.

Dans le même cadre, y a t-il eu des contacts directs entamés par le pouvoir politique marocain avec la Jamaa pour la faire participer, en toute légitimité, à la vie politique?

Je ne crois pas qu’il y ait des contacts directs. Le Makhzen n’étant qu’un laquais servant les grandes puissances, des contacts ayant cette visée ne sont pas envisageables. Bien sûr, le grand rêve du Makhzen est d’intégrer notre mouvement à son système mais nous ne céderons jamais.

Plusieurs observateurs formulent à l’égard de votre action interne dans la Jamaa plusieurs critiques : par exemple, vous n’associez pas les jeunes membres à la prise de décisions, vous freinez leur aspiration à faire participer leur mouvement à l’action politique légale. Est-ce là une exclusion consciente de cette large tranche de la Jamaa ?

Si nous supposons que cette soi-disant tranche existe, je me demande ce qu’elle fait dans le mouvement et pourquoi elle ne prend pas la décision de rejoindre le PJD qui ouvre ses portes à ceux qui désirent participer au « paradis politique » où nous ne voyons qu’un enfer. Car s’associer avec le Makhzen n’a qu’une seule signification : s’engager dans un processus de manipulation. Ce que nous ne pouvons admettre. Je crois plutôt que nos jeunes membres sont pleinement conscients de nos enjeux. Car celui qui adhère à notre mouvement le fait en toute connaissance de cause et a foi en ses principes. Ces assertions sont erronées.

Vous avez qualifié la participation au jeu politique avec le Makhzen d’ « enfer » alors que le champ politique ne vit pas cette bipolarité absolue. Ne croyez vous pas que la politique offre une liberté d’action qui en fait un art, celui de partir de ce qui est pour réaliser ce qui pourra être. Pourquoi alors cette tendance à préserver la virginité politique de la Jamaa ?

Nous avons à maintes reprises débattu de cette question. N’empêche …..

(l’interrompant) : Y a t-il du nouveau à propos de cette répugnance à descendre dans l’arène politique telle qu’elle est actuellement ?

Il n’y a rien de nouveau puisqu’au Maroc, rien n’est nouveau. A chaque fois, le Makhzen prend une nouvelle couleur, c’est tout. C’est un caméléon politique. Or, un caméléon restera caméléon, il ne peut se métamorphoser en dinosaure … par exemple.

Le changement fait loi pour tout le monde. Rien ne demeure inchangé. Qu’est ce qui a changé dans votre mouvement?

Si vous permettez, je finis ma réponse. Nous parlons toujours du Makhzen comme s’il offre de véritables occasions de participer au jeu politique ; comme si nous avions un véritable jeu démocratique, un véritable parlement … Nous n’avons rien de tout ceci. Tout le monde sait actuellement comment les partis et les institutions sont manipulés pour servir une seule cause : celle du Makhzen qui tourne autour d’un seul axe. Nous savons tout cela comme le sait chaque marocain éveillé. Notre participation à ce jeu nous entacherait et nous ferait perdre une chose essentielle : la confiance des marocains. Concernant nos nouveautés, plusieurs changements ont été opérés, notamment dans le domaine qui nous intéresse le plus, celui de l’éducation. Nous avons un système éducatif, négligé, hélas, par la presse et qui se développe, Dieu merci, chaque jour d’avantage. Nous préparons notre jeunesse à un avenir très proche à notre avis même si certains pensent que ce n’est qu’un mythe, ; un avenir dans lequel l’étau qui enferme ce peuple se desserrera.

Dans votre mouvement, vous appelez à accepter le jeu démocratique mais, en même temps, vous vous abstenez de prendre part au processus électoral ?

Le Maroc n’est pas un pays démocratique. Nous rejetons ce jeu imposé par le Makhzen. Nous n’accepterons le jeu que lorsque la démocratie deviendra une réalité basée sur la concertation (la choura) ; une démocratie où les élections seront réellement libres. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous ne pouvons donc accepter un scénario où les élections sont soit totalement falsifiées ou négociées comme ce fut le cas dernièrement avec le PJD. Nous ne sommes pas contre le principe des élections mais contre l’instrumentalisation de ces élections au Maroc.

Quelle est votre évaluation de la participation du PJD au jeu politique après toutes ces années ?

Je n’use jamais de la langue de bois, aussi mes ennemis sont-ils légion. Il ne s’agit pas de critiquer les personnes. Je ne peux nier le fait qu’ils ont un fond de sincérité considérable. En entrant dans l’arène politique, ils croyaient pouvoir changer le régime qui a réussi à corrompre l’essence même de leur participation. Ils ont été manipulés de la pire des manières ; leur cas est encore plus désespérés que celui des autres partis. Ils ont permis au Makhzen de promouvoir une fausse image, celle d’un pouvoir démocratique qui a réussi à assimiler même ses islamistes « belliqueux ». Un gain inestimable dans la politique internationale. De plus, vu les causes dont ils se sont fait les défenseurs, on constate qu’ils ont pris la place de Alaoui Mdaghri et adopté un islam officiel « salafisé » pour qu’en fin de compte l’aile du Makhzen couvre –Dieu merci- le soufisme et le salafisme …

(l’interrompant), Il ne manque à ce cocktail que l’association Justice et Spiritualité ?

Dieu nous en préserve !

Même si le Makhzen vous fait la cour ?

Nous ne lui ferons pas ce cadeau.

La chose est-elle impossible ? Quelles sont vos conditions pour participer au jeu politique ?

Nos conditions sont claires. La première est de décadenasser la Constitution. Il nous faut une révision totale de celle-ci, des garanties pour ne pas revenir à une Constitution octroyée source de toutes les rechutes et de toutes les magouilles …

Que reproche la Jamaa à la constitution actuelle ?

Beaucoup de choses …

Les plus importantes ?

D’abord, l’article 19 qui concentre les pouvoirs aux mains d’une seule institution ; le Roi. Mais, la Constitution en fait est un tout qui se tient. Elle mérite donc d’être jetée dans la décharge de l’histoire. Nous devons adopter une nouvelle Constitution bâtie sur de véritables choix démocratiques.

Bon. Quelle forme et quel contenu constitutionnels prônezvous pour le Maroc ?

Nous ne voulons pas décider à la place des marocains, sinon nous ne ferons que reproduire le modèle Makhzanien que nous dénigrons. Dans tel cas, il vaut mieux garder la formule constitutionnelle existante. Lorsque mon père a appelé au pacte islamique, il n’optait nullement pour la thèse de l’exclusion comme la presse a cherché à divulguer. Cette presse ne s’est même pas donnée la peine d’approfondir la réflexion à propos des passages du livre de mon père traitant de la question. Avant tout, le pacte veut dire la participation de toutes les parties malgré tous les litiges entretenus entre elles par le Makhzen afin d’en tirer profit. Des litiges sur fond de tribalisme ou de divergence politique, quoiqu’il ne faille pas parler d’une véritable divergence, puisque mêmes les gauchistes se déploient corps et âmes pour préserver l’article 19 de la Constitution pour ne pas dire plus. Quant aux divergences de nature tribale, nous acceptons les spécificités ; d’autant plus que mon père est d’origine amazigh et est fier de cette origine …

Tsawalt tamazight (parlez vous amazigh)?

(riant) : Imik imik (un peu). Toutefois, nous considérons qu’il est impossible de rester prisonnier de cette tendance tribale alors que le monde entier s’efforce de s’unir et cherche à créer des espaces communs sur la base de concepts plus vastes. Il serait donc insensé de se laisser enfermer dans un cadre étroit comme le tribalisme. Et c’est pour cela que nous avons appelé au pacte islamique : au fait que tous les constituants politiques se réunissent autour d’une seule cause pour faire évoluer le peuple marocain vers un avenir positif.

Ne voyez vous pas qu’il y a là une contradiction : vous parlez de l’impossibilité de participer au jeu politique alors que vous évoquez en même temps la possibilité d’une rencontre avec des constituants politiques qui y participent pleinement ?

Il n’y a pas de contradictions. Les partis participent au jeu du Makhzen certes, mais nous sommes conscients qu’à l’intérieur de ces partis, il y a des bonnes volontés. Nous l’avons dit et répété, même si une certaine presse n’a jamais cessé d’affirmer le contraire. Mais ces volontés demeurent prisonnières de leurs engagements partisans. Nous voulons les aider à réaliser des actions positives. Et sans cet optimisme, il ne resterait plus rien à faire au Maroc. Il faut agir avec ceux qui sont motivés dans notre société car nous sommes contre la violence. Nous ne sommes nullement un mouvement de rejet. Nous ne sommes pas pour la stratégie de la terre brûlée. Il nous faudrait une phase transitoire en partenariat avec les bonnes volontés. Un dixième de volonté de changement vaut mieux que rien et nous sommes prêt à agir à partir de ce seuil là. Mais nous refusons d’agir dans un cadre préétabli par le pouvoir central.

Vous vous sentez plus proche de quel élément de la scène politique, sachant que votre référentiel est différent, sinon contradictoire avec les autres constituants ?

Au Maroc, nous sommes confrontés à un défi majeur. Le Makhzen a domestiqué et manipulé tout le monde. Nous pensons donc que, pour sortir de cette impasse, il nous faut trouver une plateforme commune. D’autant plus que le problème du référentiel ne se pose pas avec acuité puisque même le parti communiste marocain n’a pas rejeté la spécificité islamique. Tout le monde se dit musulman.

Que désignez vous par les communistes ?

Haj Ali Yata – Que Dieu ait son âme- par exemple. Même ceux qui se disent laïcs et optent pour l’agnosticisme affirment en même temps que le légitimité du pouvoir au Maroc est fondée sur ce qui est religieux et la reconnaissent en tant que telle. Pourquoi donc ne pas opter pour une légitimité qui nous rassemblerait tous. Il y a un cadre islamique qui garantit un certain nombre de libertés que nous avons évoquées dans le pacte islamique. Nous avons dit haut et fort que nous proposons une vie politique où les programmes seront clairs, où le peuple se mobilisera pour une vie démocratique réelle, en vue de tenir de véritables élections. Le peuple aura alors toute la liberté de choisir ou pas le référentiel islamique et les propositions de notre mouvement. Nous voulons pour le Maroc une Constitution qui garantisse cette liberté même si cela devait nous exclure du champ politique. Y a-t-il une authenticité politique plus explicite que celle-ci ?

L’émirat des croyants est une source de litige entre la Jamaa et le pouvoir. Mais vous ne croyez pas que le débat sur ce sujet ouvrirait la voie aux laïcs ?

Nous sommes pleinement conscients de ce défi mais nous croyons que, par là, nous choisissons le moindre mal. Mais que penser de laïcs qui disent que mieux vaut l’émirat des croyants que les islamistes ; des laïcs devenus plus royalistes que le roi ; fait étrange propre au Maroc. Les islamistes, pour leur part, disent que mieux vaut l’émirat des croyants, avec tout ce qu’il comporte, que les laïcs. Nous, nous croyons que nous avons plutôt besoin d’une politique forte qui relèverait ce défi là. Les laïcs auront à y exposer leurs programmes et à participer au jeu politique. Ceux qui prônent l’agnosticisme auront le droit d’exprimer leurs opinion. La seule condition, c’est qu’il y ait un jeu politique clair et un choix démocratique réel. Nous n’excluons ni les laïcs et les athées.

Certains journaux ont rapporté les propos que vous avez proférés dans l’université Berkeley, et dans lesquels vous affirmez que le meilleur régime pour le Maroc est la république. Dans quel contexte avez-vous avancé une telle thèse ? Pouvez vous y apporter quelques éclaircissements ?

C’est ce qui a été écrit après mon retour des Etats-Unis et cela a pris la forme d’une déclaration ; ce qui n’est nullement le cas. J’ai fait une intervention dans cette université mais je n’ai nullement traité de « république » et le texte de l’intervention est toujours sur le site électronique de la Jamaa. Je ne nie pas cela par crainte. J’ai effectivement évoqué la république mais dans un autre contexte. C’est une conviction personnelle qui n’engage que moi. Je m’exprime en tant qu’intellectuelle qui analyse une conjoncture. Lorsque nous disons que la monarchie ne convient pas, cela implique le choix d’une autre alternative. En fait, je fus confrontée à un choix précis entre la la monarchie ou la république…

Et vous avez choisi la république ?

Bien sûr, j’ai choisi la république. C’est un point de vue purement académique, car, entre l’autocratie et la république, j’opte pour cette dernière. Je l’ai dit dans un cadre intellectuel et cela n’engage que moi. Je ne suis nullement un porte-parole de la Jamaa. J’ai des convictions que j’exprime clairement et je n’ai pas avancé de tels propos aux Etats-Unis, parce que je demandais leur protection. Ce qui a été publié par la suite sur le sujet n’était que du bricolage informatif. Cette opinion, je l’avais exprimée il y a plusieurs années déjà dans la presse nationale.

Qu’ y a-t-il de nouveau dans un Maroc commandé par un régime monarchique hérité depuis des siècles pour que vous disiez, d’un point de vue purement académique, que le meilleur régime pour le Maroc est une république sans monarchie ?

Lorsque nous discutons dans un cadre académique, cela veut dire que nous parlons à un niveau théorique et stratégique qui ne concorde pas forcément avec la faisabilité politique. Dans la réalité, les marocains ne sont pas prêts pour un régime républicain. Nous croyons que la politique ne peut s’accomplir que si le peuple y participe pleinement. Nous respectons donc le choix du peuple. Je crois que si nous organisons maintenant des élections ou un référendum supervisé par les Nations-Unis (puisqu’il nous faut un garant de la véracité des résultats) et que la question soit : Que voulez-vous ? la monarchie ou le république ? La majorité opterait pour la monarchie, vue l’inexistence d’une culture politique.

Restons dans le cadre de ce qui est académique. Pourquoi opter pour le régime républicain au lieu de la monarchie au Maroc ?

Parce que le régime républicain est plus proche de «notre conception …

Notre ? Vous voulez dire vous autres dan la Jamaa ?

(Riant) Vous voulez compromettre la Jamaa... ? Non, plutôt avec ce que « je » considère comme plus convenable. Un régime de concertation (shura) fondé sur la souveraineté populaire. Le problème, c’est que, lorsque, dans l’histoire de l’Islam, le pouvoir est tombé dans les mains des Omeyyades et des Abbasides, ces derniers se sont efforcés d’enrayer la conscience politique. En fait, nous avons vécu à cause de cela une certaine laïcité. Nous avons à cause de cela vécu les pires catastrophes politiques et continuons à les vivre. Tenez, au Maroc pour l’illustration de cette laïcité, on nous dit : voilà votre espace : la moudawana exclusivement, tout ce qui a trait au pouvoir, vous en êtes exclus. Le roi prend les décisions et le gouffre se creuse entre le peuple et la chose publique. Voilà pourquoi au Maroc, nous vivons une véritable calamité. Et c’est pour cela que j’ai formulé cette opinion académique, en l’occurrence ma préférence pour le régime républicain. Ceci ne nous empêche pas de préparer le peuple marocain, d’éveiller sa conscience politique en remettant en cause la politique éducative.

Les marocains ont été vidés de leur substance. La politique éducative adoptée depuis longtemps a réduit leur champ d’action soit à l’enthousiasme, soit à la colère. Il n’y a pas de culture politique constructive. Nous pouvons les réveiller et leur faire prendre conscience de leur foi, de leurs affaires, des impacts politiques et économiques… Notre religion étant en corrélation permanente avec les affaires d’ici-bas, lorsque nous proclamons qu’il n’y a de Dieu que Dieu, le « il n’y a» devient un « non » catégorique à l’iniquité politique que l’on subit et qui est inhérente à la nature du régime politique actuel : la monarchie héréditaire. Je considère donc, du point de vue académique, que ce régime ne convient pas à une société qui veut construire ou produire quelque chose de positif. Il nous faut préparer les marocains à prendre conscience de leur réalité politique et à l’améliorer au lieu de se résigner à subir pour l’éternité un tel régime. Nous devons laver cette insulte qui nous est adressée par les occidentaux : que les arabes et les musulmans ne sont pas faits pour la démocratie et la république. Sommes-nous génétiquement différents des autres nations ? N’avons-nous pas le droit de respirer un peu d’air libre ? Sommes-nous condamnés à nous accrocher à cette monarchie jusqu’au jour du Jugement Dernier ?

Nous sommes contre la violence, qu’elle soit contre l’institution monarchique ou contre le peuple marocain et nous devons cheminer doucement vers une véritable réforme à travers une culture d’émancipation de la pensée restreinte. Périrons-nous si nous restons sans roi ? je ne le crois pas.

Comment pourrions-nous, nous qui nous nous référons à la religion, avancer que le modèle qui nous convient le plus est celui de la république alors que ce terme politique est inexistant pour le référentiel islamique opte plutôt pour le Califat ou l’Emirat ?

Nous croyons que cette mort politique, spirituelle et sociale que vit le monde musulman découle de cette restriction imposée à la gouvernance et à la réflexion. Le régime politique a loué les services du fiqh (Jurisprudence) pour faire légitimer son autocratie. Ce fut une calamité : une complicité entre le pouvoir et le fiqh pour fermer la porte de l’Ijtihad (effort d’interprétation) et tailler le fiqh à la mesure définie par le pouvoir.

Nous pensons qu’il y a eu stagnation depuis plus de 14 siècles bien qu’ils y eut des penseurs tels que Ibn Rochd et Ibn Sina, le penseur et le docte, ainsi que d’autres savants qui ont proposé mais qui furent mis au ban et opprimés. Nous vivons un temps vide de toute référence politique solide sur laquelle nous pouvons appuyer nos expériences à venir. Rien ne nous empêche donc de tirer profit des expériences universelles à condition qu’elles se rapprochent de l’esprit auquel nous nous conformons. Lorsque le calife Omar Ibn Al Khattab fut informé que les Chrétiens de Najrane refusaient de s’acquitter de la capitation (Jiziah) –ne voulant pas l’appeler par ce nom il leur rétorqua : « Qu’ils s’en acquittent et l’appellent comme ils leur convient …».

Une telle polémique (étymologique) grèvent la pensée des musulmans et la condamnent à tourner continuellement en rond.

De tout temps, le Maroc fut un pays des fouqahas qui se mettent au service du pouvoir. Qu’est ce qui a pu advenir pour vous pousser à dire que les choses doivent être autrement ?

(Riant) : Nous-mêmes (nous poussons) ! Nous avons plusieurs ouvrages et suggestions à ce propos. Nous proposons l’émancipation de cet asservissement auquel nous a condamné le fiqh dépendant du pouvoir et qui ne nous a apporté que déclin. Nous devons cesser de nous prosterner devant l’oppression. Le temps est venu pour que la véritable réforme survienne. Auparavant, les fouqahas étaient soit des rebelles (idée de révolte armée), soient des soumis et ce depuis le soulèvement de Hussein. Nous, nous proposons une qawmah (une résistance pacifiste),sans violence parce que nous ne sommes ni des soumis, ni des rebelles (idée de lutte armée). Nous proposons un compromis fondé sur un effort éducatif de longue haleine. Nous voulons traduire notre idée en une réalité et ceci ne peut s’effectuer que si nous misons sur l’éducation de l’humain.

Lorsque nous examinons le marocain, nous découvrons qu’il est en fait un objet de l’histoire inerte soumis aux manipulations du Makhzen, et c’est le résultat d’un long processus. Nous n’évoquons pas l’histoire pour rêver ou opérer un arrêt définitif mais pour comprendre une réalité effective car, contrairement à une idée admise, pour comprendre le présent des musulmans, il faut assimiler leur histoire.

Il n’y pas de différence entre l’orient et l’occident musulman à votre avis ?

Je ne fais pas de distinction entre L’orient et l’occident car nous avons une histoire commune. Je parle de l’essence, pas de la forme qui varie d’une région à une autre, car, qu’y a-t-il de commun entre ce qui se passe en Irak et ce qui se passe au Maroc ; ce qui s’est passé en Andalousie, dans l’Egypte fatimide et ce qui s’est perpétré au Maroc sinon Une philosophie de gouvernance commune ? Je ne vois pas comment un intellectuel peut isoler la réalité historique du Maroc par rapport à cette Histoire commune. Bien sûr, il y des spécificités marocaines…

(l’interrompant) : Toutes les expériences sociales réussies sont parties de spécificités culturelles, linguistiques, sociales, etc. Comment donc peut-on dire que le changement passe par des points communs entre le Maroc et des pays géographiquement très lointains qui n’ont de commun avec lui que la religion ?

Nous croyons aux spécificités et appelons à les prendre en considération. Ces spécificités peuvent être un gain et leur diversité un enrichissement certain. Je ne peux pas faire de comparaisons entre le Maroc et les expériences occidentales (si c’est ce que vous insinuez), ce dernier ayant lui aussi des spécificités, positives et négatives, complètement différentes de ce que nous vivons et avons vécu, que nous l’admettons ou non. La religion musulmane a laissé une empreinte indélébile sur le monde arabe de son extrême Occident à son extrême Orient. Celui qui néglige cette identité ne peut rien comprendre de son Histoire, de ses spécificités et de son avenir. Et chacun est libre de considérer les choses selon son angle de vue.

Dans la région que vous appelez « Monde arabo-musulman », il y a deux modèles : le turc et l’iranien. Le premier est un modèle réussi même si c’est un modèle qui, tout en étant islamique, a accepté la laïcité avec ce qu’elle comporte de séparation entre la religion et l’état, et ce, depuis Kemal Atatürk, le deuxième, extrémiste lui, souffre d’une multitude de problèmes relatifs au rapport entre le religion et les affaires de l’état. Où vous situez-vous, dans Justice et Spiritualité, entre ces deux modèles ?

Nous sommes pour un modèle marocain. Nous sommes contre toute sorte de dépendance idéologique. Il n’est pas question que le Maroc suive le modèle de l’Iran ou de la Turquie ou de quelque pays que ce soit … Lorsque nous penson la démocratie, nous la pensons en termes de différence, de spécificités et de légitimité. Malheureusement, la pensée dominante actuellement et qui a l’opportunité (financière) de propager sa culture religieuse est le wahhabisme qui réduit l’Islam en un ensemble d’interdits et de tabous, alors que l’Islam est un esprit pouvant réformer nos sociétés arabo-musulmanes et leur fournir l’occasion de sortir de cet état de régression politique, spirituel et économique.

Supposons que le pouvoir vous est cédé dans ce Maroc contradictoire, comment allez vous gérer cette multitude de différends ? Au Maroc il y a des cabarets, des bars, des fillettes qui courent derrière les derniers cris de la mode, etc. ?

Je vous remercie d’avoir posé cette question concrète . Lorsque vous évoquez l’Islam, vous vous référez au modèle de l’Iran par exemple. Et, en effet, le risque de l’extrémisme existe dans le monde arabe où certains veulent imposer le voile à la femme, fermer les bars et les cabarets... Mais ceci n’est pas du tout notre souci. Pour un vrai changement, il faut de la douceur et non pas une révolution qui mette le pays au feu et à sang. Nous sommes contre cette idée et nous implorons Dieu qu’Il nous préserve du pouvoir dans une société qui n’est pas réellement préparée à cette approche des choses. Nous avons passé 30 années à éduquer et à inculquer les principes de la non-violence et nous serions en contradiction flagrante avec notre référentiel si nous ne faisons que reproduire le modèle autoritaire que nous rejetons.

Notre ambition est de parvenir à relever le défi qu’un jour ces lieux de débauche et de perversion restent ouverts mais ne trouvent plus de clients. Une utopie peut-être, mais notre espoir est que l’éducation spirituelle touche une grande majorité. Nous pensons qu’il nous faut un parlement qui prenne des décisions démocratiques, sévères ou pas, contre une certaine minorité qui demeure accrochée à la corruption et à la débauche. Récemment, aux Etats-Unis, un état a pris la décision unanime d’interdire les jeans taille-basse et personne ne les a qualifiés d’extrémistes. C’est la démocratie. Je pense cependant que cela doit rester du domaine de l’éducation. Personnellement je crois que ce sont des détails qu’il ne faut pas traiter au parlement, mais qu’il faut laisser ces questions dans un cadre purement éducatif.

Certains pensent que la véritable problématique de la jamaa est la transition à opérer de l’idée de jamaa à celle du parti ?

Si le pouvoir était l’objectif du mouvement, le processus éducatif que nous prônons ne serait pas indispensable pour l’atteindre. Des milices auraient suffi pour faire la révolution. Or, notre option depuis le début est l’humain. La politique n’est pas notre objectif, c’est un auxiliaire pour le processus éducatif visant à mettre en valeur l’essentiel de l’être humain, sa relation avec son Créateur. Les facteurs sociaux et économiques ne sont que des auxiliaires permettant à l’Homme de connaître Dieu et de l’adorer dans la sérénité. Pour éviter aux habitants des bidonvilles de se transformer en Kamikazes pour mériter le paradis et jouir de ses délices ; il est impératif de considérer que l’être humain est un corps et un esprit qui requièrent une certaine justice sociale pour vivre dignes ; ainsi qu’un véritable enseignement. D’où l’importance du politique.

Il est absurde qu’une minorité infime s’accapare les richesses du pays et demande à la majorité écrasante de garder foi en Dieu. Nous sommes contre une religion qui se transforme en opium des peuples .Nous voulons un Islam libérateur des peuples.

On a remarqué que Al Adl Wal Ihssane a gardé le silence après le 16 mai 2003 malgré la férocité des arrestations et l’iniquité des procès ?

Je ne fuis pas la réponse. J’ignore si le mouvement a publié des communiqués ou non (Elle se retourne vers son mari Abdallah qui lui répond : il y eut des communiqués condamnant ces arrestations, la torture, les procès).

Dernièrement, le roi a présenté une initiative de développement humain, qu’en pensezvous ?

Nous en avons fini avec la moudawana (code de la famille), maintenant, c’est le développement humain.

Vous pensez que ce n’est là qu’un acte de diversion dicté par la conjoncture ?

Sans nul doute.

Veut-on par là tirer le tapis sous vos pieds, vous qui aviez pris l’habitude d’accomplir des œuvres sociales dans les milieux défavorisés ?

Ils ont déjà tiré le tapis en distribuant la soupe pendant le mois de Ramadan, ils ont commencé ce stratagème depuis un certain temps déjà mais maintenant, c’a se fait officiellement. Je pense que c’est un véritable sandale qu’une institution qui symbolise le pouvoir central accomplisse une œuvre sociale ayant un caractère associatif et se mette à distribuer de la soupe. Dans une véritable démocratie et un Etat qui a une véritable sratégie, le travail associatif a le rôle d « ambulance de l’état » qui sert à pallier des petites lacunes. Mais que l’Etat fasse d’un bol de soupe une réalisation nationale alors qu’il faut élaborer une politique économique globale… !!!

Notre régime politique est il aussi fragile que ça?

Il n’y a au Maroc aucune stratégie politique et économique claire. Il n’y a qu’un système makhzénien et du bricolage politico-économique. Je prends 80% des richesses du pays et le reste est laissé au bricolage. Ou bien il y aura une véritable stratégie pour remettre le pays sur pieds, ou rien ne s’accomplira. Ce bricolage destiné à combler les lacunes est accompagné du détournement du capital national vers les banques suisses. Comment donc concevoir une avancée dans ce climat ?

Vous avez, une fois, comparé le régime au Maroc à un fruit vicié dont vous attendez la chute. Est-ce imminent ?

Tous les indicateurs le disent.

Vous voyagez beaucoup à l’étranger dernièrement, aimez vous le tourisme hors du pays à ce point ?

Je fus longtemps interdite de passeport et un proverbe marocain dit : « Gare à la recluse si on lui ouvre la porte ». Je voyage dans un cadre purement culturel et contrairement à ce qu’en pensent certains, l’Islam est pour l’ouverture sur les autres et leurs expériences. Notre aspiration est l’éducation et l’Islam n’est pas terroriste forcément.

D’aucuns vous qualifient d’ « héritière du secret de votre père », un titre royal par excellence. N’en êtes-vous pas embarrassée ?

Je renie catégoriquement ces titres inventés par ceux qui s’adonnent à la fabrication des surnoms et à tailler les qualificatifs.

Etant lauréate du lycée francophone Descartes, vous êtes au diapason de la culture occidentale soutenue, comment vous êtes –vous trouvé dans une association religieuse, estce parce que votre père est son leader ?

Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai commencé en fille du mourchid (guide spirituel) de la Jamaa mais j’ai continué le trajet avec conviction. Il est très logique que lorsque le mouvement vit le jour, ma relation avec le mourchid était déterminante pour moi. Mais ayant fait ample connaissance avec sa pensée, j’y adhère complètement. Je suis et resterai membre du mouvement même après le départ de mon père si Dieu me prête vie.

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00

"Les Américains pissaient sur le Coran et abusaient de nous sexuellement"

ABDELHAK NAJIB
 

 

*ARTICLE ENVOYE PAR SI AHMED MANAÏ



Interview exclusive : Mohamed Mazouz, rescapé de Guantanamo

Mohamed Mazouz fait partie des cinq Marocains rescapés de Guantanamo. Après plus de trois ans et demi de détention entre le Pakistan, Kandahar, Bagram et Guantanamo, il vient d’être mis en liberté provisoire en attendant le verdict du 4 juillet 2005. Dans cet entretien exclusif avec LGM, il revient sur toutes les étapes de sa détention, sur la torture, le parallèle avec la prison d’Abou Ghrib et le sort des 12 autres Marocains qui sont toujours détenus par les Américains.

Mohamed Mazouz en compagnie d’Ibrahim Benchekroun, un autre rescapé de Guantanamo, lors de leur visite à la Gazette du Maroc.

 

LGM : Vous avez été arrêté au Pakistan, les accusations affirmaient que c’était en Afghanistan. Qu’en est-il réellement ?
Mohamed Mazouz : La réalité que tout le monde connaît est que j’ai été arrêté au Pakistan. J’y suis allé pour me marier. C’était exactement le 26 août 2001. J’habitais alors à Londres depuis quelques années et je n’avais pas de papiers. Il fallait me marier avec une Anglaise de nationalité qu’elle soit d’origine pakistanaise, indienne ou marocaine. C’était le seul moyen pour avoir mon permis de résidence en toute légalité. Le destin a fait que je me suis lié d’amitié avec un Pakistanais. Avec le temps, j’ai su qu’il avait une sœur en âge de se marier et j’ai demandé sa main. La famille a accepté et nous avons décidé de partir au Pakistan pour célébrer cette union. Le mariage a eu lieu et les choses allaient normalement. Il faut préciser ici que j’avais un visa d’un mois. Quatre jours avant notre retour, j’ai été arrêté sur un boulevard de Karachi alors que je marchais avec mon beau-frère pakistanais. Aujourd’hui, je ne sais rien de cette femme qui étais mon épouse, je n’ai pas où la contacter, j’ai perdu toute trace depuis ce jour où la police pakistanaise m’a arrêté.

(...)

Et les interrogatoires ?
Les interrogatoires étaient quotidiens, faits par des Américains avec la collaboration de traducteurs arabes. Cela avait lieu dans les tentes en présence de tous les autres détenus et souvent, nous étions frappés au début, face contre sol, par des soldats fous, avant de commencer à répondre aux questions. Il y avait une technique précise qui consistait à jeter le détenu par terre, lui sauter sur le dos, lui éclater l’épaule avant de le frapper. Beaucoup d’entre nous avaient les omoplates fracturées et ont dû faire face aux froid et la faim, sans médication jusqu’au départ pour Guantanamo. Et l’interrogatoire pouvait durer des heures interminables. Et là, ils sortaient la grosse artillerie pour la torture. Il y avait d’abord les décharges électriques qui faisaient un mal sans pareil. Et ensuite, ils nous jetaient dans de gros barils d’eau pour nous étouffer. Ils avaient aussi le vice de nous mettre des torchons sales, pleins de tout ce que vous pouvez imaginer de dégoûtant sur la bouche et le visage. Pas de prière, pas de nourriture, pas d’eau, pas d’habits, sans couverture, pendant des jours.

Après cela, vous avez été transféré à Bagram ?
La prison de Bagram est la sœur jumelle d’Abou Ghrib en Irak. Sans donner trop de détails, nous avons vécu les mêmes tortures, les mêmes sévices physiques et psychologiques que les détenus en Irak. Vous savez, quand je suis entré au Maroc et que j’ai pu avoir accès aux journaux, j’ai découvert ce que les prisonniers irakiens avaient vécu à Abou Ghrib, c’étaient les mêmes techniques et les mêmes abus. Je pense aujourd’hui que Bagram a été le laboratoire qui a préparé Abou Ghrib. Nous étions dans des cellules individuelles et c’est là le plus grave puisqu’ils pouvaient tout essayer sur les prisonniers sans que personne ne sache ce qui se passait. Nous avons été humiliés dans nos corps, obligés à nous dénuder les uns devant les autres. Pire encore, on nous envoyait des femmes soldats qui provoquaient les détenus en les touchant sur leurs organes génitaux, en se mettant à poils devant eux ou alors en couchant avec d’autres soldats devant nous. Nous avons vu pire que cela et beaucoup de détenus ont été violés et faisaient tout pour le cacher. Mais nous savions ce qu’ils avaient subi de la part des soldats. D’autres techniques ont été employées comme de nous accrocher par des menottes sur des barres en fer accrochés aux murs. On pouvait rester suspendus pendant des nuits sans sommeil.
Après, ils en sont venus à l’étape des injections. À tour de rôle, on nous administrait des produits qui nous rendaient fous. On a appris par la suite que c’étaient des injections pour provoquer l’hystérie. Beaucoup avaient perdu la tête. D’autres ont contracté des maladies de peaux, des infections dermiques, des maladies rénales, des complications au foie, des migraines…

Quel traitement était réservé au Coran ?
Ici, je tiens à faire savoir au monde entier à travers ce que je dis jusqu’où les Américains sont allés pour nous humilier et bafouer nos principes les plus élémentaires. Il s’agit du traitement infligé au Coran. Tout ce qui pouvait le réduire à néant était utilisé. Ils ont pissé dessus, ils l’ont déchiré, ils l’ont coupé aux ciseaux devant nous, ils ont déféqué dessus en badigeonnant nos visages avec. Oui, il faut dire tout ceci pour que le monde musulman réalise quel degré de haine ce livre sacré leur inspire. Parce que je ne vois pas pourquoi en arriver là. Un jour, et en présence de la Croix rouge, ils avaient pris tous les corans de la prison pour les déchirer devant nous tous. Ils se comportaient à l’égard du Livre sacré comme s’il s’agissait d’un vulgaire objet. Quand on protestait, nous étions torturés à mort. Et à chaque fois qu’ils agissaient de la sorte à l’égard du Coran, nous nous soulevions et évidemment nous étions punis en conséquence. C’était un cercle vicieux. L’autre forme de torture consistait à lâcher des chiens sur nous alors que nous sommes nus, dans des douches, en groupes. Ou alors au moment des interrogatoires. Les chiens sont rôdés pour ce type de travail et les prisonniers se faisaient parfois mordre violemment. C’était à en devenir fou, à la fois la peur, l’hystérie, les cris des uns et des autres, le froid, la faim et les fortes migraines. Pour ma part, je faisais partie des premiers arrivés et des derniers à partir. J’ai tout vécu.

(...)

http://www.lagazettedumaroc.com/articles.php?id_artl=6272&n=415&sr=852&r=2
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