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14 juillet 2006 5 14 /07 /juillet /2006 08:51
TARIK RAMADAN

Quel humanisme pour l’islam ?

par Tariq Ramadan

 

Le rôle de la Révélation

Après avoir évoqué tous ces aspects de l’homme, il reste, en ce qui concerne l’humanisme, une véritable question dont on parle d’ailleurs assez peu dans les traditions philosophiques ou religieuses de l’Occident, catholique ou protestant.

Quel est le rôle de la Révélation ?

On ne peut pas parler de l’homme et de l’humanisme sans se poser cette question. Quelle est en effet l’autonomie de l’homme ? On vient de parler de limites. On vient de dire que la raison est libre, mais qui fixe la limite ? Est-ce uniquement la raison qui s’autorégule ou est-ce qu’il y a une "révélation" qui régule notre pratique rationnelle ? Pour l’Islam, la seconde éventualité demeure la plus vraie, car c’est le Coran qui contient cette Révélation.

Mais faut-il considérer qu’on est enfermé dans les Ecritures parce qu’on les cite sans arrêt ? Tout dépend de la façon dont on cite ; est-ce pour s’enfermer ou pour s’orienter ? grande différence. On peut citer un texte en perdant son humanité ou en la valorisant : en perdant mon humanité, c’est que le texte m’ignore ; en valorisant mon humanité, c’est que le texte appelle chez moi une humanité à faire, et non une humanité à nier.

La question, en vérité, n’est pas la fréquence des citations mais le contexte dans lequel elles sont insérées. Si l’on ne comprend pas le type de proximité que les musulmans ont avec le texte, on ne les comprendra pas. Une des choses les plus importantes dans la tradition musulmane est l’acquisition du texte et son assimilation. Il y a des centaines de milliers de gens qui connaissent tout le Coran par cœur : c’est l’aspect de la connaissance du texte, connaissance par le cœur, dans le cœur et pas seulement dans la tête (un enseignant musulman dans une banlieue française s’indignait : ils savent un dixième du Coran et ce sont des délinquants !). Un texte acquis dans le cœur illumine le réel, il n’enferme pas. Toute la question est donc bien de savoir comment on cite.

Cela étant dit quant à la place et au rôle du texte, que dit la Révélation et comment s’exprime-t-elle ?

La Révélation est d’abord une confirmation.

On ne peut pas comprendre le rôle de la Révélation selon la tradition musulmane si l’on n’a pas compris tout ce qui a été dit plus haut sur la conception de l’homme. Nous sommes ici à mille lieues de toute la pensée existentialiste, au premier rang de laquelle on peut mettre celle de Kierkegaard. Rien n’est plus étranger à la pensée musulmane que la pensée de Kierkegaard, ne serait-ce que par le statut qu’il donne à la Révélation (celui d’une interpellation surnaturelle adressée à l’homme et qui intervient de l’extérieur, en rupture avec l’ordre de la nature)

Pour la pensée musulmane, la Révélation n’est pas un événement qui sort de l’ordre naturel, mais au contraire le confirme : Lumière sur lumière, dit une formule coranique ; la lumière de la Révélation vient confirmer la lumière du cœur. Il faut s’attacher à une formule tout à fait intéressante de Abu Hâmid al-Ghazali : le message, dans sa lettre, est une révélation extérieure ; la raison est une révélation intérieure. En d’autre termes, mon intelligence m’apporte une révélation qui vient de l’intérieur et qui est confirmée par la Révélation ; je porte en moi une révélation que la Révélation vient confirmer. Cette façon de voir est très importante dans la tradition musulmane.

Montaigne, par exemple, nous parle du "Grand Livre du Monde". Cette idée provient en fait d’une tradition orientale qui est reprise dès le VIIIème siècle dans la tradition musulmane et qui met en évidence l’idée d’un livre révélé (le Coran, qui comprend la Bible hébraïque, la Torah,, les psaumes, L’évangile et qui reconnaît tous les prophètes) et l’idée d’un livre déployé qui est l’Univers. Tout ce qui rappelle Dieu dans l’Univers est un signe ; et tous les versets de la Bible et du Coran sont stipulés comme étant également des signes (c’est le même mot). Le signe du texte écrit renvoie au signe du "texte" créé, c’est-à-dire la création. Il y a tout un jeu de correspondances entre le microcosme et le macrocosme.

La Révélation est donc une "lumière" qui vient confirmer une autre lumière et qui doit stimuler l’intelligence. C’est pourquoi, à maintes reprises, Dieu interpelle dans le Coran ceux qui sont doués d’intelligence. Qu’est-ce que le discernement : c’est voir avec le cœur ce que la raison voit comme élément. Le cœur ajoute la dimension du signe. Tous les mots, dans le Coran, renvoient à cette idée de la confirmation de ce qui nous habite déjà.

La Révélation est ensuite une orientation

La Révélation oriente ce qui nous appelle. Nous cherchons ; elle nous oriente. Par rapport à Dieu il y a des exigences. Par rapport au monde, la Révélation va nous donner des orientations dans quatre domaines (pour simplifier).

- le rapport au Divin

La Révélation oriente dans le rapport que l’on a avec le divin. Raison pour laquelle le terme Islam signifie avant tout soumission à Dieu (qui dépasse d’ailleurs le cadre des seuls musulmans : Abraham était soumis à Dieu). L’Islam se traduit par un acte de foi, et non par la référence à un homme, ni à un peuple, ni à une tradition. Par cet acte lui-même, par l’acte par lequel le cœur reconnaît ce qui l’appelle, l’homme revient à son origine. C’est le chemin vers la Source vive. Lors de la mort d’une personne, nous disons : nous sommes à Dieu, c’est vers Lui que nous retournons. Dans cette première orientation, ce que nous trouvons dans le texte, c’est le rappel du rapport au Divin : comment être avec Dieu ? se connaître pour cheminer vers la Source. Pour devenir musulman, il faut reconnaître qu’il n’y a qu’un Dieu et que le dernier prophète est Son prophète.

Ensuite il nous faut savoir comment être musulman, c’est-à-dire comment revenir à cette Source : Il faut se chercher, retourner à son cœur, s’analyser et faire un bilan de conscience, ce qui est véritablement renvoyer l’homme à lui-même.

Dans la tradition musulmane il n’est pas déclaré que l’homme soit à l’image de Dieu. Dieu est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. Rien ne Lui est semblable et rien ne peut s’approcher de Lui. On peut s’orienter intellectuellement vers la compréhension de Ses qualités mais jamais dans la définition de Son Etre. Ce qui nous rapproche de Dieu c’est une réflexion sur l’étincelle qu’Il a mise en nous, mais jamais pour Le définir, toujours pour nous rapprocher. Le rapport à Dieu n’est jamais un rapport de définition ou de captation intellectuelle, mais un rapport de proximité spirituelle. On doit sentir cette proximité : c’est toute la tradition soufie, mais c’est aussi la tradition orthodoxe.

- le rapport de soi à soi

Il va y avoir ici, systématiquement, une valorisation de la dimension de l’homme, au nom de son innocence, au nom de sa responsabilité, avec l’exigence de son humilité. En permanence on relèvera dans la confiance les qualités que l’homme a, mais dans le souci d’être méfiant. chacun d’entre nous sait que certaines de ses qualités, dans certaines conditions, peuvent devenir des défauts. L’émotion et la sensibilité sont en soi positives. Mais une sensibilité mal placée peut se retourner et devenir un défaut. Une générosité peut devenir un défaut si elle est excessive. C’est là un aspect fondamental de ce que l’on peut appeler l’humanisme musulman : mettre en évidence une valorisation importante de ces qualités, mais avec le souci de cette maîtrise à tous les niveaux. Il nous faut reconnaître que nous sommes avant tout un don de celui qui nous a créés. La tradition prophétique dit que notre corps ne nous appartient pas et que chaque élément de notre être a des droits sur nous.

C’est la raison pour laquelle l’Islam commence toujours par l’universalité de la responsabilité avant l’universalité du droit. C’est la source d’un débat sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. On peut reconnaître sa valeur universelle en matière de droits. Mais on peut s’interroger sur sa pertinence à guider les hommes en matière de responsabilité.

Nos religions, en effet, nous enseignent que c’est notre responsabilité qui oriente nos droits. Si, en revanche, seul le droit circonscrit la responsabilité, chaque homme peut devenir, au nom de son droit, un être des plus destructeurs, qui légitime tout au nom du droit, ce que l’on a appelé la dictature du droit. Or nous sommes effectivement aujourd’hui dans une société du droit. Mais la vraie question est alors que, si nous avons des droits, quelle est la responsabilité qui habille notre droit ? Un droit "non habillé" de responsabilité est au risque de l’orgueil. Nous avons la responsabilité de la liberté de notre corps. Nous ne pouvons pas faire n’importe quoi de notre corps. C’est là une orientation éthique.

- le rapport de soi à sa famille

On ne peut que souligner avec force que le noyau de l’humanisme islamique n’est pas l’individu seulement. L’être humain est un être de sociabilité et sa première sociabilité est la famille. Lorsqu’on dit en occident que l’autonomie de la raison et le primat de l’individu sont deux fondements de la modernité, cela pose un problème en Islam. Il n’y a pas pour l’Islam de primat de l’individu en ce sens qu’il serait dégagé de tout lien d’humanité ; son premier lien d’humanité est le lien avec la famille. Il y a omniprésence de cette préoccupation : un humanisme au cœur même de la première relation sociale qui est celle de la reconnaissance des père et mère. Ce sont des valeurs déterminantes. Le droit de l’individu ne peut jamais faire fi de la responsabilité familiale. Reste à voir comment tout cela peut être géré, car cela peut devenir oppressant. Toute la question est de savoir où est l’équilibre.

- le rapport de soi à la société

Nous n’entrerons pas dans tous les détails. Il ne peut y avoir non plus ni science ni économie sans orientation, c’est-à-dire sans éthique. Ce qui gêne aujourd’hui dans tout le débat actuel sur la mondialisation, c’est qu’il faudra bien que l’on exige véritablement du consommateur et de l’ordre économique, d’aller plus loin. Il va falloir s’interroger non seulement sur le primat de l’économique au regard de tout autre type de rapport humain, mais finalement aussi sur l’éthique en économie. Au nom de quoi fait-on ce que l’on fait ? peut-on dégager d’aussi importantes sommes de bénéfices ?

La culture nous interpelle aussi profondément : Y a-t-il, ou non, une éthique en matière culturelle ? Peut-on, au nom de la liberté d’expression, admettre n’importe quelle expression et dire : libre est mon expression et elle peut dépasser tout limite éthique ? Sans doute l’expression artistique a son domaine spécifique. Mais quand une société est questionnée, de façon profonde, sur la liberté d’expression, au niveau de la sexualité par exemple, quand elle est placée en face d’un certain public, un public d’enfants ou d’adolescents notamment, elle ne peut pas systématiser un mode unique d’expression. Nous ne nous cachons pas de poser les vraies questions, quitte à paraître réactionnaires, alors que nous aimerions plutôt nous dire responsables. Quels principes gèrent la production culturelle ? Est-ce-que ce ne sont que des principes financiers ? Nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes.

Pour terminer, nous dirons que cet humanisme musulman, fondé sur une orientation, aboutit à la plus difficile des notions : en toutes choses, entre l’innocence, la raison et les choix que nous sommes amenés à faire, la position de l’équilibre est déterminante ; ne rien nier de ce que nous sommes, mais savoir nous maîtriser, pour tendre vers ce que nous voulons être. C’est une humanité qui fait face à elle-même, qui se valorise en connaissant les risques mais en exigeant de maîtriser ces risques et de maîtriser les excès.

Telles sont les lignes essentielles de l’humanisme musulman, qui se traduit au travers de la philosophie, au travers de la théologie et aussi au travers des perspectives, et qui recoupe dans ses conclusions, beaucoup de ce que l’on trouve dans les traditions chrétiennes et dans les traditions juives. Mais il est vrai qu’aujourd’hui - et nous y insistons beaucoup - au nom de la conception de l’homme, il est extrêmement difficile, au cœur même de l’Occident, pour quelqu’un de tradition musulmane, d’accepter sans réagir l’affirmation d’une primauté absolue des droits des êtres humains, sans qu’il soit insisté, en rapport précisément avec la Transcendance, sur l’obligation d’une responsabilité active.D’où les débats et les confrontations intéressantes et possibles entre les deux traditions.

 

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Avec le Prophète Muhammad (Paix soit sur lui)

 

La douceur, l’attention et l’amour

 

Par Tariq Ramadan

 

La douceur, l’attention et l’amour

Dans son quotidien, alors qu’il était préoccupé par les attaques, les trahisons et la soif de vengeance des ennemis, il restait attentif aux détails de la vie et aux attentes de chacun mêlant de façon permanente la rigueur et la générosité de la fraternité et du pardon. Ses compagnons l’observaient prier durant de longues heures de la nuit, seul, loin des hommes, isolé dans le murmure de ses prières et de ses invocations qui nourrissaient son dialogue avec l’Unique. `Aïsha, son épouse, en était impressionnée et étonnée : « Ne t’imposes-tu pas trop [d’actes de dévotion] alors que Dieu t’a déjà pardonné tes fautes passées et futures ? Et le Prophète de répondre : Comment pourrais-je ne point être un serviteur reconnaissant [qui remercie] ? »[1] Il n’imposait point à ses compagnons ce qu’il s’imposait de pratiques, de jeûnes, de méditations. Au contraire, il exigeait d’eux qu’ils allègent leur fardeau et qu’ils évitent l’excès : à certains compagnons qui voulaient mettre un terme à leur vie sexuelle, prier durant les nuits entières ou jeûner sans discontinuer (comme ‘Uthmân ibn Maz’ûn ou ‘Abd Allah ibn ‘Amr ibn al-‘As), il disait : « N’en fais rien ! Mais jeûne certains jours et mange certains jours. Dors une partie de la nuit et veille une autre partie en accomplissant la prière. Car ton corps a sur toi des droits, tes yeux ont sur toi un droit, ta femme a sur toi un droit, ton hôte a sur toi un droit... »[2] Il s’exclama un jour, et répéta trois fois : « Malheur aux exagérateurs [rigoristes] !!! »[3] et, en une autre circonstance : « La modération, la modération ! Car c’est seulement par la modération que vous arriverez à bon port. »[4]

Il n’avait de cesse d’apaiser la conscience des croyants qui avaient peur de leurs faiblesses et de leurs manquements. Un jour, le compagnon Handhala al-Usaydî rencontra Abû Bakr et lui confia être persuadé de sa profonde hypocrisie tant il se sentait traversé de sentiments contradictoires : dans la présence du Prophète, il n’était pas loin de voir le paradis et l’enfer mais lorsqu’il s’en éloignait, il était distrait par sa femme, ses enfants et ses affaires. Abû Bakr lui confia à son tour qu’il vivait les mêmes tensions. Ils s’en allèrent voir le Prophète et le questionner sur cet apparemment triste état de leur spiritualité. Handhala lui exposa la nature de ses doutes et Muhammad lui répondit : « Par Celui qui détient mon âme entre Ses mains, si vous aviez le pouvoir de demeurer dans l’état [spirituel] où vous êtes en ma compagnie et dans le souvenir permanent de Dieu, les anges vous serreraient la main dans vos lits et sur les chemins. Mais il n’en est rien, Handhala, il est une heure pour cela [la dévotion, le souvenir] et une heure pour cela [le repos, la distraction]. »[5] Il n’y avait donc là aucune des dimensions de l’hypocrisie mais simplement la réalité de la nature humaine qui se souvient et oublie, qui a besoin de se souvenir justement parce qu’elle oublie. Parce que les humains ne sont point des anges.

En d’autres circonstances, il les surprenait en affirmant que c’était au cœur même de leurs besoins les plus humains, dans l’humble reconnaissance de leur humanité, que s’exprimait la sincérité d’une prière, d’une aumône ou d’un acte d’adoration. « La prescription du bien est une aumône, la proscription du mal est une aumône. Dans vos relations sexuelles avec vos épouses, il y a une aumône. » Ses compagnons, surpris, lui dirent : « O Messager de Dieu, quand l’un de nous satisfait son désir [sexuel] et il en reçoit en plus une récompense ? » Muhammad répondit : « Dites-moi, si l’un d’entre vous avait eu une relation illicite, n’aurait-il point commis un péché ? C’est pourquoi lorsqu’il a une relation licite, il en reçoit la récompense. »[6] Ainsi les invitait-il à ne rien nier ou mépriser de leur humanité mais il leur enseignait qu’il s’agissait, au fond, d’apprendre à se contrôler. La spiritualité c’est à la fois accepter ses instincts et les maîtriser : vivre ses désirs naturels à la lumière de ses principes est une prière. Jamais une faute, encore moins de l’hypocrisie.

Le Prophète détestait entretenir chez ses compagnons un inutile sentiment de culpabilité. Il leur répétait de ne jamais cesser de dialoguer avec l’Unique qui est l’Infiniment Bon, le Miséricordieux qui accueille chacun dans Sa grâce et Sa bonté et aime la sincérité des cœurs qui regrettent et reviennent à lui. C’est le sens profond de « at-tawba » offerte à chaque conscience : le « retour sincère à Dieu », après un oubli, un écart, une faute. Dieu aime ce retour sincère auprès de Lui et Il pardonne et purifie. Le Prophète en donnait l’exemple lui-même en de nombreuses circonstances. Un Bédouin vint un jour uriner dans la mosquée et les compagnons se précipitèrent sur lui et voulurent le battre. Le Prophète intervint et leur dit : « Laissez-le en paix et versez simplement un seau d’eau sur son urine. Dieu ne vous a suscités que pour faciliter les obligations et non point pour les rendre difficiles. »[7] `Aïsha rapporte par ailleurs qu’un homme vint un jour trouver le Prophète et lui dit : « Je suis perdu ! » Le Prophète lui demanda « Pourquoi donc ? » Celui-ci lui confia : « J’ai eu commerce avec ma femme pendant les heures de jeûne du mois du Ramadan ! » Muhammad lui répondit : « Fais donc l’aumône ! » à quoi l’homme répondit : « Je ne possède rien ! » puis il s’assit non loin du Prophète. Un homme vint alors apporter au Prophète un plat de nourriture[8]. Le Prophète appela : « Où est donc l’homme perdu ? - Ici, répondit-il. » Muhammad lui dit : « Prends cette nourriture et va la donner en aumône ! - A plus pauvre que moi ? Mais ma famille n’a rien à manger ?! - Alors mangez-la vous-mêmes. » répondit le Prophète en souriant.[9] Cette douceur et cette bonté étaient l’essence même de son enseignement et il répétait : « Dieu est doux (Rafîq) et Il aime la douceur (ar-rifq) en toute chose »[10] en ajoutant : « Il donne pour la douceur ce qu’Il ne donne pas pour la violence ou toute autre chose. »[11] Il confia à l’un de ses compagnons : « Il y a en toi deux qualités que Dieu aime : la clémence (al-hilm) et la longanimité [la grandeur d’âme, la tolérance] (al-anâ) »[12] et il invitait tous les compagnons à ce constant effort de la douceur et du pardon : « S’il te parvient de ton frère une chose que tu désapprouves, cherche-lui une à soixante-dix excuses. Si tu ne trouves pas, dis [persuade-toi] que c’est une excuse que tu ne connais pas. »[13]

Autour de la mosquée, à proximité de la demeure du Prophète, s’étaient installés certains nouveaux convertis à l’islam qui n’avaient pas de toit et étaient souvent privés de nourriture. Démunis (parfois volontairement car certains désiraient vivre l’ascèse loin des biens du monde), leur subsistance dépendait des aumônes et des dons des musulmans : leur nombre ne cessait d’augmenter et ils furent bientôt appelés « ahl as-suffa » (les gens du banc).[14] Le Prophète était très concerné par leur situation et manifestait une solidarité permanente à leur égard. Il les écoutait, répondait à leurs questions et était attentif aux besoins de chacun. C’était une des particularités de sa personnalité et de ses enseignements avec ahl as-suffa comme avec l’ensemble de sa communauté : à la même question sur la spiritualité, la foi, l’éducation ou le doute, il apportait des réponses différentes et adaptées qui tenaient compte de la psychologie, du vécu et de l’intelligence de celle ou de celui qui l’apostrophait. Ceux-ci se sentaient vus, respectés, compris, aimés et, en effet, il les aimait, le leur disait et leur conseillait, en sus, de ne jamais oublier de se confier mutuellement leur amour : « Quand quelqu’un aime son frère [sa sœur] qu’il lui fasse part de son amour pour lui [elle]. »[15] Au jeune Mu’âdh ibn Jabal, qu’il saisit un jour par la main, il murmura : « O Mu’âdh, par Dieu, je t’aime. Et je te conseille, ô Mu’âdh, de ne pas oublier de dire, à la suite de chaque prière rituelle : ‘O Dieu, aide-moi à me souvenir de Toi, à Te remercier et à parfaire mon adoration à Ton égard’ »[16] Le jeune homme s’est ainsi vu offrir en un seul élan et l’amour et l’enseignement spirituel et ce dernier était d’autant plus profondément assimilé qu’il était enveloppé de cet amour.

[1] Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim

 

[2] Hadîth rapporté par al-Bukhârî.

 

[3] Hadîth rapporté par Muslim

 

[4] Hadîth rapporté par al-Bukhârî

 

[5] Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim

 

[6] Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim.

 

[7] Hadîth rapporté par al-Bukhârî

 

[8] Selon une version, il s’agissait de dattes. Un autre transmetteur, du nom de ‘Abd ar-Rahmân, indiquait quant à lui ne pas savoir de quoi il s’agissait exactement.

 

[9] Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim

 

[10] Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim

 

[11] Hadîth rapporté par al-Bukhârî

 

[12] Hadîth rapporté par Muslim

 

[13] Hadîth rapporté par al-Bayhaqî

 

[14] Un banc avait été installé à leur intention à proximité de la mosquée. Certains commentateurs, cherchant l’origine du mot « sûfî » (sufisme), l’ont lié à ces « ahl as-suffa » dont certains avaient fait le choix délibéré de la pauvreté et de l’éloignement du monde, des désirs et de la possession.

 

[15] Hadîth hassan (bon) rapporté par Abû Dâwud et at-Tirmidhî

 

[16] Hadîth rapporté par Abû Dâwud et an-Nasâ’î

 

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