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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 10:49
Tunisie : qui protège les camps jihadistes ?


Malik Aït-Aoudia - Marianne

 

Dans le nord et le sud du pays, des groupes islamistes s'entraînent à la guerre sainte, pour partir combattre en Syrie ou au Mali. Et demain, en Tunisie ? Les pays occidentaux ferment les yeux pour des raisons politiques, et l'Algérie s'inquiète.


(Hassene Dridi/AP/SIPA)
(Hassene Dridi/AP/SIPA)
La Tunisie abrite des camps d'entraînement jihadistes. Deux, au moins, sont connus : l'un dans le Nord, dans la région de Tabarka, et l'autre dans le Sud, aux confins des trois frontières communes à la Tunisie, à la Libye et à l'Algérie, non loin de l'oasis libyenne de Ghadamès. A Tunis, leur existence est un secret de Polichinelle. «Nous avons informé les autorités tunisiennes, explique un diplomate européen, mais, pour le moment, il n'y a eu aucune réaction.» Pourtant, pas question pour les Occidentaux de porter le débat sur la place publique. «Cela reviendrait à dire que la transition politique en Tunisie est très mal partie et aucun pays européen ne souhaite prendre cette responsabilité», résume notre interlocuteur.

Des armes sont-elles stockées dans ces bases jihadistes ? C'est probable, et pas seulement là puisqu'on en trouve un peu partout dans le pays. En juin dernier, l'armée algérienne a ainsi transmis aux militaires tunisiens des informations qui leur ont permis de mettre la main sur un véritable arsenal enterré dans les sables du désert, à l'extrême sud du pays. Selon un haut responsable de la police tunisienne, «les combattants formés à la guérilla dans les camps sont disséminés dans tout le pays, prêts à en découdre lorsque le jihad sera déclaré en Tunisie si l'instauration de l'Etat islamique ne se fait pas par la voie légale». Ils pourraient alors récupérer les stocks d'armes sur lesquels le pays du jasmin fait semblant de dormir.

Foire aux guerriers d'Allah

En attendant, le grand voisin algérien en fait des cauchemars. A Alger, la frontière avec la Tunisie est devenue un sujet de préoccupation majeur. En quelques semaines, deux grosses opérations ont mis en lumière l'étendue du danger. A Annaba, un important réseau jihadiste venu de Tunisie a été démantelé. Près de Tébessa, les forces de sécurité algériennes auraient récupéré des missiles sol-air venus de Libye, après avoir transité par la Tunisie où le jihadisme ne prend même plus la peine de se cacher.

Une incroyable foire aux guerriers d'Allah s'est, par exemple, tenue à Kairouan, en mai dernier, sous la houlette d'Abou Iyad. L'homme fut naguère l'un des lieutenants de Ben Laden et organisa l'attentat contre le commandant Massoud en Afghanistan (lire Marianne no 805). On l'a retrouvé, il y a peu, lors de l'attaque contre l'ambassade américaine de Tunis. A Kairouan, l'homme avait donné rendez-vous à ses partisans d'Ansar al-Charia, son groupe jihadiste créé en 2011. Plusieurs milliers d'hommes venus de tout le pays, jeunes pour la plupart, en tenue afghane, en qamis (longue robe) immaculé ou en jeans, T-shirt et baskets de marque... Les drapeaux du califat islamique flottaient triomphalement alors qu'au micro Mokhtar Jebali, le président du Front tunisien des associations islamiques, s'époumonait : «Les gens ont peur des jihadistes parce que les ennemis ont massacré notre image. Mais, par définition, un musulman est un jihadiste. Le Prophète était le plus grand des moudjahidin.» La foule en délire n'attend qu'une chose : rejoindre le lieu d'affectation des moudjahidin tunisiens, dans le Nord ou dans le Sud. A la seule vue d'un ancien détenu de Guantanamo, 3 000 partisans de la guerre sainte scandent : «Obama, Obama, nous sommes tous des Oussama !» Un slogan repris le 14 septembre lors de l'assaut contre l'ambassade des Etats-Unis...

Pour montrer que la jeunesse tunisienne est prête au combat, les organisateurs avaient prévu une démonstration de zamaktel tounsi, un art martial tunisien, qu'il est désormais possible d'apprendre dans les camps d'Ansar al-Charia. Le visage camouflé, les «combattants» qui en font la démonstration fascinent les jeunes. L'opération recrutement était en route. Au grand jour. «Après la chute de Ben Ali, nous avons vécu dans l'euphorie sans faire attention aux salafistes, lâche, amer, un intellectuel laïc. Nous les méprisions et n'avons jamais imaginé qu'ils puissent être un danger pour le pays. Maintenant, ils sont là, entraînés, armés, regroupés en milices.» Obnubilés par la chasse aux membres de l'ancien régime, les Tunisiens n'ont pas voulu voir que les islamistes radicaux tissaient leur toile.

Premier signal d'alerte

Le premier signal d'alerte aurait pu venir des informations faisant état de la mort d'Imad, un jeune de Bizerte, du côté de Benghazi, lors de combats contre le régime de Kadhafi. «A l'époque, se souvient Mounir, un étudiant en architecture, nous nous sommes dit que c'était juste un jeune mort pour la démocratie, alors qu'il s'agissait en fait des premiers jalons d'une internationale jihadiste appelée à combattre partout où le leur chef le demande.» Aujourd'hui, il ne se passe pas une semaine sans que l'on apprenne qu'un jeune Tunisien est «mort en martyr» en Syrie. Les jeunes jihadistes commencent leur formation en Tunisie et vont se perfectionner au combat sur les terres de jihad, comme la Syrie, le Mali ou la Libye. Signe des temps, les familles des jihadistes ne sont plus montrées du doigt. Mounir s'en est aperçu en allant présenter ses condoléances après la mort d'un ami d'enfance «sur le chemin de Dieu» à Alep : «Cette famille modeste autrefois socialement déclassée a acquis un nouveau statut et est montrée en exemple.»

Que feront les centaines de jihadistes tunisiens si la France soutient une guerre au Mali contre Aqmi et les autres groupes islamistes ? Et que feront ceux qui combattent aujourd'hui en Syrie ou ailleurs, lorsqu'ils rentreront au pays ? La diffusion d'une vidéo de Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahda, le parti au pouvoir, expliquant à des salafistes la conduite à tenir pour que les islamistes gardent le pouvoir et instaurent la charia, a bouleversé l'opinion. A Tunis, un an après la victoire électorale islamiste, huit mois avant les prochaines élections prévues en juin 2013, veut-on ou peut-on faire face à la menace jihadiste ?

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