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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 15:13
Fourest et Israël, Sadri Khiari Le « conflit israélo-palestinien », en tant que tel, est fort peu présent dans la prose fourestienne. En tant que journaliste, elle l’aborde uniquement quand il s’agit de commenter une actualité brûlante dont il est immédiatement partie prenante, ou quand elle évoque certains pans de l’histoire de l’islam politique. Guère plus. Elle s’en explique ainsi : « En tant que journaliste spécialisée dans l’étude des intégrismes, je travaille sur tous les intégrismes, juif, chrétien et musulman. Le sionisme n’entre pas, en soi, dans mon champ d’application. En réalité, il ne fait pas vraiment partie, je le confesse de façon presque honteuse, de mes centres d’intérêts. » Une note rédigée plus tard est censée la prémunir contre toute critique : « Il ne s’agit pas du tout de laisser penser que ce conflit m’indiffère en tant qu’humaniste, mais simplement d’expliquer que je souhaite absolument dissocier la question intégriste de la question israélo-palestinienne. Pour cette raison, j’ai tout fait pour me tenir à l’écart de ce sujet, afin de ne pas brouiller mon message, qui porte sur tous les intégrismes. » En réalité, si on ne peut que lui reconnaître l’incompétence qu’elle revendique, le conflit en question est omniprésent dans son approche de l’intégrisme musulman. Plus, son parti pris en faveur du « seul pays démocratique du Moyen-Orient » est tout à fait transparent. Travesti en affrontement opposant juifs et antisémites, totalitaires et antitotalitaires, il constitue un élément majeur de ses analyses et de ses prises de position. Pour elle, souvenons-nous, la prise de conscience occidentale suscitée par le génocide des juifs aurait accouché de l’antitotalitarisme, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’État d’Israël, refuge des survivants de la Shoah. Par ailleurs, tel qu’il s’exprime, selon elle, à travers l’opposition à Israël, l’antisémitisme serait l’une des principales composantes idéologiques de l’intégrisme musulman, le lieu de convergence de ce nouveau totalitarisme et de la gauche radicale. Vive la paix (imposée aux Palestiniens) ! Fidèle à sa stratégie de communication, Fourest défend une position censée être « équilibrée », consensuelle, tellement banale qu’elle se présente faussement comme une évidence partagée par tous les gens raisonnables. « Pour tout dire, écrit-elle ainsi, je n’ai d’autres avis sur ce conflit que celui de l’immense majorité des citoyens. ‘Deux peuples, deux États’, et vite. » Pour conforter l’apparence pondérée de ce point de vue, elle l’oppose à l’antisionisme, considéré comme extrémiste, et imprégné d’antisémitisme, ainsi qu’à la politique menée par les « faucons israéliens ». Dans « Tirs croisés », déjà, elle prend soin de se démarquer de la politique de Sharon. Lors de l’offensive militaire contre les Palestiniens de Gaza, elle dénonce les « crimes de guerres » commis par l’armée israélienne. Aujourd’hui, elle critique sévèrement la droite dure au pouvoir en Israël et la colonisation de nouveaux territoires et apporte son soutien à Obama dont elle espère une politique qui favorise la paix. Faudrait-il en faire plus pour mériter le titre de militante de la paix ? N’a-t-elle pas, en outre tenu tête à l’avocat ultra-sioniste, William Goldanel, lors d’une émission télévisée ? Son article intitulé « Israël contre Obama » ne lui a-t-il pas valu les foudres de Paul Landau, « pseudonyme de Pierre Lurçat, l’un des cofondateurs de la Ligue de défense juive en France… Une organisation extrémiste, à droite du Bétar » ? Fourest, la sainte, n’a d’ailleurs que faire de ces fanatiques qui l’attaquent. Courageuse, amoureuse de la paix, elle s’obstine à faire entendre la voix de la sagesse et tente humblement « de porter la parole d’associations pacifistes comme « La Paix maintenant » ». C’est ce qu’elle appelle avoir une position « équilibrée ». Et gageons que, malheureusement, nombreux seront ses lecteurs, abreuvés par les commentaires partisans et le filtrage de l’information médiatique, qui n’y verront que du feu. Il n’en est pourtant rien. Le point de vue défendu par Caroline Fourest est tout sauf « équilibré », et certainement pas « raisonnable ». Il est tout simplement favorable à Israël. Ainsi, lorsque, pour attester de sa motivation principalement « humaniste », elle affirme vouloir « porter la parole d’associations pacifistes comme « La Paix maintenant » », elle se place spontanément et peut-être sans même s’en apercevoir d’un point de vue israélien. Elle aurait pu évoquer également des mouvements pacifistes palestiniens, cela ne lui vient même pas à l’idée. Caroline Fourest a exprimé des critiques très sévères concernant la tuerie israélienne à Gaza, soit ! Il n’est pas inutile cependant de les examiner de près. Fourest, en effet, n’en conteste pas les prétextes officiels. Elle regrette simplement que cette intervention ait été – pour reprendre la formule consacrée par les médias – une « riposte disproportionnée » aux roquettes qui harcèlent Israël. Elle y voit une opération « contre-productive » qui fait le jeu du Hamas et altère la « force morale » de l’État hébreu en l’« éloignant […] de l’‘humanité’». N’oublions pas que, pour elle, Israël est « le seul État démocratique du Moyen-Orient », cette ritournelle de la propagande sioniste qui néglige tout simplement le fait de la colonisation et de l’apartheid racial que subissent les Palestiniens. Dans « Israël contre Obama », Caroline Fourest approuve avec enthousiasme les thèses défendues par Elie Barnavi, dans un livre au titre significatif, « Aujourd’hui ou peut-être jamais. Pour une paix américaine au Proche-Orient ». Il est intéressant de se pencher un moment sur ce personnage qui rencontre tant de sympathie au sein des « élites intellectuelles » de gauche et leur permet de défendre Israël, en toute bonne conscience. Historien israélien, membre du mouvement « La Paix maintenant », Elie Barnavi s’est surtout fait connaître au sein de l’Hexagone en tant qu’ambassadeur de l’État sioniste entre 2000 et 2002. Depuis, il a publié de nombreux ouvrages dans de grandes maisons d’édition françaises. Ayant la réputation d’être un homme de gauche, modéré, pacifiste, ouvert au dialogue avec les Palestiniens, partisan des « deux États », n’hésitant pas à dire leur fait aux dirigeants sionistes les plus belliqueux, il occupe régulièrement les plateaux télévisés où il est accueilli comme un homme politique doublé d’un intellectuel blanc et francophile – ce qui n’est pas la moindre de ses qualités du point de vue des médias français. Il a également l’immense qualité, à leurs yeux, d’être un ami de Bernard-Henri Levy, dont il s’est complu d’ailleurs à faire un portrait des plus flatteurs à l’intention des lecteurs de « Marianne ». Il a donc tout pour plaire. En vérité, à l’instar du « Camp de la Paix » et de nombreux intellectuels israéliens qui « rivalisent d’injustice en parlant de justice », Elie Barnavi est favorable à la paix aux conditions imposées par Israël. L’État palestinien indépendant qu’il appelle de ses vœux ne saurait pour lui être autre chose qu’un État croupion, doté d’une souveraineté limitée, une forme d’autonomie administrative, confinée aux territoires inutiles à l’État d’Israël d’un point de vue économique, militaire et symbolique, et maintenu sous contrôle étroit de la sécurité israélienne, ou américano-israélienne. En quelque sorte, un assemblage de bantoustans qui n’ont d’État que le nom. Cette « paix », adossée en premier lieu à la puissance états-unienne et, secondairement, européenne, favoriserait le rayonnement économique israélien dans tout le Moyen-Orient, et ancrerait définitivement l’État juif au sein du monde blanc impérialiste et « civilisé », marginalisant enfin les juifs « orientaux », mal-blanchis, dont les mœurs primitives et l’aventurisme boutefeux risqueraient aujourd’hui de mener Israël à sa perte ou, à tout le moins, de le faire dévier du projet des pères fondateur de l’idéal (colonial) sioniste. La perspective que défend l’ancien ambassadeur israélien en France implique nécessairement, on s’en doute, le désarmement militaire et politique de la résistance palestinienne. Non pas seulement contraindre les Palestiniens à renoncer à leurs revendications (notamment la souveraineté sur Jérusalem et le retour des réfugiés de 1948) mais, plus encore, les amener à accepter le principe de négociations sans rapport de forces, c’est-à-dire en se fiant tout simplement à la bonne volonté israélienne et à l’« arbitrage » modérateur américain. Autant dire négocier à poil. Cette position fonde à la fois le « pacifisme » d’Elie Barnavi et son appui aux autorités israéliennes lorsque celles-ci s’engagent dans une opération militaire pour briser la résistance palestinienne. Ainsi, récemment nommé ambassadeur en France en l’an 2000, au moment où Israël menait une effroyable expédition meurtrière en Cisjordanie, il ne s’est pas privé de jouer son rôle de propagandiste au service de l’armée israélienne. Il a poussé l’ignoble jusqu’à contester la véracité du fameux reportage vidéo réalisé en septembre 2000 par le cameraman palestinien de France 2, Talal Hassan Abu-Rahma, et le journaliste Charles Enderlin, montrant l’assassinat du jeune Mohamed al-Dura par des militaires israéliens. Lors de l’offensive contre Gaza, bien que n’ayant aucune fonction officielle, il joue son rôle de petit soldat de l’État juif sur les plateaux télévisés. Aujourd’hui, Elie Barnavi, qu’admire Caroline Fourest, s’oppose de manière virulente au gouvernement Netanyahou, mais il est fortement probable que, si ce dernier déclenchait de nouveaux affrontements sanglants, comme à son habitude, Barnavi sera là, à son poste sur le front médiatique, pour défendre la soldatesque sioniste. Dans cet article où elle cultive le mythe d’un Obama, héraut de la paix au Moyen-Orient, Fourest regrette, avec Barnavi, « les entraves rencontrées par la paix de part et d’autre » et reprend à son compte cette contre-vérité : « Les accords existent, les plans sont prêts depuis longtemps, dans les moindres détails… Il ne manque que la détermination politique et des interlocuteurs pour signer. » Stratégie discursive classique qui consiste, pour présenter sa propre position comme étant « raisonnable » et « équilibrée », à rejeter les autres positions dos à dos, à des pôles extrêmes. Mais, au-delà de la simple rhétorique, il y a plus grave : une telle affirmation, en effet, assimile abusivement la situation des Palestiniens et celle de l’État d’Israël. Elle occulte totalement la réalité qui est celle d’un peuple colonisé, écrasé depuis soixante ans, réduit à l’exil, à la misère, qui tente désespérément d’exister face à la barbarie d’un État colonial tout-puissant et armé jusqu’aux dents. Une telle affirmation dissimule près de vingt ans d’histoire au cours desquels la direction du Fatah, alors majoritaire en Palestine, a effacé d’un trait de plume des pans entiers de son programme fondateur dans le vain espoir que l’État juif consentirait finalement à l’existence d’un État palestinien souverain dans une portion de la Palestine historique. Depuis les accords d’Oslo signés en 1993, Arafat a multiplié les concessions, il s’est plié aux exigences croissantes des Israéliens, il n’a pas hésité à s’impliquer, aux côtés des forces de sécurité israéliennes, dans la répression des mouvements palestiniens accusés d’« extrémisme » dès lors qu’ils s’opposaient au piège représenté par Oslo. De leur côté, loin de respecter, sinon à la marge, les accords conclus, les autorités israéliennes, y compris sous les travaillistes, n’ont eu de cesse de coloniser de nouveaux territoires, de spolier d’autres richesses palestiniennes, de restreindre au maximum les concessions, de sursoir à l’application des accords, voire de les abroger, de fixer sans cesse de nouvelles conditions, inacceptables, à une Autorité palestinienne de plus en plus impuissante. Le résultat est connu : Arafat ne pouvait aller plus loin dans les concessions unilatérales, refusant notamment de signer l’accord de capitulation que s’acharnaient à lui imposer le Premier ministre israélien, Ehoud Barak, et Bill Clinton, lors des fameuses négociations de Camp David II, en juillet 2000. C’est alors qu’une gigantesque machine de désinformation popularise à l’échelle planétaire l’un des plus gros mensonges de l’histoire : Arafat aurait refusé les « offres généreuses » des Israéliens. Plus : depuis Oslo, il se serait évertué à saboter le « processus de paix » et aurait encouragé en sous-main le « terrorisme ». Dans « Tirs Croisés », Caroline Fourest ne dit pas autre chose. Le leader palestinien, suggère-t-elle de manière transparente, serait directement responsable des actions kamikazes : « Bien que Yasser Arafat dise s’opposer aux opérations suicides, plusieurs religieux officiels de l’Autorité palestinienne approuvent le recours aux bombes humaines. » Dans le droit fil du discours officiel israélien, elle accuse l’Autorité palestinienne de faire la promotion des attentats suicides dans les écoles : « A force d’élever des générations entières dans le culte du martyr – que ce soit à l’école, en famille ou lors des enterrements – tout en promettant sans cesse une vie de rêve après la mort, l’Autorité palestinienne se trouve de plus en plus confrontée à des phénomènes suicidaires chez les enfants, les premiers à prendre au pied de la lettre cette propagande. » Mais elle va plus loin encore dans l’amalgame en impliquant également « les États arabes » : alors que « le gouvernement israélien peut se vanter de désamorcer les bombes (des intégristes juifs) avant qu’elles n’explosent [...] les États arabes et l’Autorité palestinienne ne font pas preuve de la même détermination pour dissuader leurs concitoyens de se transformer en bombes humaines ». Cette campagne de désinformation menée par l’État hébreu et reprise a posteriori par Caroline Fourest n’avait pas pour seul objectif de dédouaner le gouvernement israélien de l’échec des négociations, elle devait préparer une nouvelle intervention militaire israélienne en Palestine, de nouvelles destructions, des massacres et, finalement, la mort mystérieuse du leader palestinien, à laquelle les autorités israéliennes sont fortement soupçonnées de ne pas être étrangères. Cependant, même si depuis les faits sont mieux connus, reste l’essentiel : alors qu’en réalité Israël a tout fait et continue de tout faire pour barrer la route à toute négociation qui ne soit pas une reddition pure et simple des Palestiniens, l’idée que ceux-ci sont fermés à toute concession continue d’être l’une des armes favorites des « amis » d’Israël. Et c’est ce discours que reprend à peu de chose près Caroline Fourest, quand bien même elle impute désormais à Israël – non sans relativiser immédiatement son propos – une responsabilité dans la dégradation sensible de la situation : « Force est de constater, écrit-elle ainsi, qu’aujourd’hui, sans doute plus qu’hier, le gouvernement israélien porte la responsabilité du blocage. En s’obstinant à rater l’échéance, les jusqu’au-boutistes de la cause israélienne ont renforcé les jusqu’au-boutistes de la cause palestinienne : les Frères musulmans du Hamas. » Ce paragraphe mériterait de figurer dans une anthologie de la mauvaise foi, maquillée en intention louable. « Force est de constater », écrit Fourest, autrement dit : je constate à contrecœur « la responsabilité » d’Israël. La formule « aujourd’hui, sans doute plus qu’hier » suggère, bien sûr, qu’« hier », les Palestiniens étaient les principaux responsables. Nous aurions deux « causes » équivalentes, explique-t-elle, donc aussi juste l’une que l’autre, la « cause israélienne » et la « cause palestinienne » et deux « jusqu’au-boutismes » qui se font face. Les acteurs du conflit sont mis ainsi sur le même plan et, en apparence, rejetés dos à dos. En apparence, car, attention, le grand tort des « jusqu’au-boutistes » israéliens, c’est en quelque sorte leur maladresse : ils ont « renforcé les jusqu’au-boutistes » palestiniens ! Un conflit territorial et non une guerre coloniale Pour Caroline Fourest, l’État d’Israël dans ses frontières (non délimitées) de 1948 n’est pas un État colonial. En fait, on ne trouvera jamais une telle affirmation sous sa plume. Non pas qu’elle veuille camoufler son opinion, mais, vraisemblablement, il ne lui vient même pas à l’idée que la question puisse être posée. La fondation d’Israël lui apparaît seulement comme l’aboutissement d’un processus naturel d’immigration des juifs en Palestine, puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de la recherche d’un lieu d’asile où les rescapés juifs des camps nazis pourraient vivre en paix, réconciliant le monde blanc avec sa bonne conscience. L’aveuglement de Fourest est à ce point profond qu’elle commet des contresens flagrants quand elle aborde certaines critiques à l’encontre du sionisme ou de l’État israélien. Son incapacité à les comprendre est patente dans les réponses qu’elle leur oppose et qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas le produit d’une simple mauvaise foi, mais avant tout d’une intériorisation très poussée de la « légitimité » de l’État sioniste, doublée d’une ignorance abyssale de l’histoire contemporaine du Proche-Orient. Ainsi, lorsqu’elle affirme que « l’amalgame entre sionisme et racisme est une escroquerie », elle a certainement pour objectif de défendre l’État d’Israël contre toute qualification infamante, mais, en vérité, elle ne comprend même pas la signification de cette formule qui lui paraît être un « amalgame ». Car, en premier lieu, pour elle, l’État d’Israël étant démocratique, il ne peut être associé au racisme. Elle n’envisage pas un instant la condition des Palestiniens « israéliens », une communauté qu’elle ignore superbement dans la bonne tradition coloniale. Convaincue, en outre, que la colonisation ne concerne que les implantations israéliennes dans les territoires occupés en 1967 et qu’elle se définit seulement en tant qu’occupation de territoires, elle est incapable de concevoir le moindre rapport entre le sionisme et le racisme. D’où ces commentaires qui peuvent sembler absurdes dès qu’on a une vision mieux informée des rapports coloniaux : « Comme si le conflit israélo-palestinien relevait du racisme et non d’un conflit territorial » ; ou encore : « Comme si la mort de civils palestiniens relevait du racisme et non de crimes de guerre liés à un conflit territorial. » A ses yeux, pour qu’il y ait racisme, il faudrait au moins qu’en faisant exploser le crâne d’un vieillard palestinien en quatre-vingt morceaux, le sniper israélien le traite de « sale Arabe ». Là, oui, elle y verrait du racisme. L’affrontement entre Palestiniens et Israël est réduit ainsi à un « conflit territorial », une querelle entre deux peuples qui se disputent un territoire qui pourrait appartenir à l’un comme à l’autre. De même, on pourrait voir des contradictions dans certaines des affirmations de Fourest alors qu’elles sont parfaitement cohérentes avec la grille de lecture qui est la sienne. A propos des manifestations antisionistes qui ont accompagné la conférence de Durban I, elle écrit par exemple : « Je n’aurais pas été choquée si des militants antiracistes avaient simplement exigé la condamnation d’Israël comme ‘État colonisateur’. On peut parler de politique ‘colonisatrice’ envers les Palestiniens. » Quand on perçoit la relation intime qui existe entre colonialisme et racisme, on ne peut qu’être surpris que Fourest, qui dénonce l’assimilation entre sionisme et racisme, puisse avoir écrit ces mots. Or, dans cette phrase, ce qui ne « choque » pas Fourest, c’est de voir dénoncées les nouvelles implantations dans les territoires de 1967 ; c’est dans cette limite bien précise qu’elle consent à employer (non sans ajouter des guillemets) les termes « État colonisateur » ou politique « colonisatrice ». Ce qu’elle est prête à condamner, c’est seulement « l’expansionnisme de type colonialiste des intégristes juifs ». En d’autres termes, le sionisme et l’État d’Israël, ne sont pas colonialistes – et évidemment pas racistes. Seule la politique des intégristes juifs, dont elle regrette l’influence sur l’État, revêt un caractère « expansionniste de type colonialiste ». Quoi qu’il en soit, cependant, l’intégrisme juif serait moins dangereux que l’intégrisme musulman. « Démocratique », l’État d’Israël disposerait, en effet, de mécanismes de « contre-pouvoirs » susceptibles de mettre un frein à l’expansion – présentée pourtant comme irrésistible dans « Tirs croisés » – de l’intégrisme juif. Alors que du côté Palestinien, on encourage le terrorisme intégriste, c’est le contraire qui serait vrai en Israël : « Leaders palestiniens et leaders israéliens manipulent leur peuple au gré de leurs besoins politiques », écrit-elle, semblant ainsi les renvoyer dos à dos. Mais c’est pour préciser immédiatement : «… les uns comme boucliers humains, les autres comme bombes humaines. » Les Israéliens manipulent donc pour se défendre, les Palestiniens pour commettre des actes terroristes. « Les intégristes juifs, écrit-elle encore, ne rencontrent aucun encouragement lorsqu’ils se décident à pratiquer le terrorisme », car « l’intérêt d’Israël réside bien dans la colonisation de territoire et non dans l’attaque frontale ». Cette phrase, alors que depuis des années Israël combine colonisation et attaque militaire frontale – du terrorisme d’État, bien plus efficace que l’éventuel terrorisme juif – laisse pour le moins dubitatif. Une terre où germe la déraison Nous abordons, ici, un deuxième paramètre autour duquel est construite la grille de lecture du « conflit » par Fourest. Citons à nouveau « Israël contre Obama ». Après avoir rejeté dos à dos les deux « jusqu’au-boutismes », Palestiniens et intégristes israéliens, elle écrit : « Les fanatiques de chaque côté ont dévoré la raison – fragile – de cette région ». Fort probablement, cette phrase a été ajoutée par l’auteur pour donner à son article de la hauteur philosophique – condition en France pour être reconnu au sein de l’élite intellectuelle. Elle est cependant extrêmement révélatrice. Elle rappelle indubitablement la philosophie coloniale de l’histoire, classant les races selon les progrès supposés de la Raison universelle en leur sein : les Blancs, bien sûr, qui communient avec la Raison, les Noirs, bien loin encore d’« entrer dans l’Histoire », les Arabes (ou les musulmans ou encore les « Sémites ») qui, après une période de stagnation, auraient considérablement régressé. Dans le même esprit, Fourest suggèrent que les tragédies qui déchirent le Moyen-Orient, depuis des décennies, ne sont pas dues aux politiques impériales – anglo-françaises puis américaines – et à l’implantation d’un État colonial, Israël, sur les terres palestiniennes, mais à une particularité inhérente à « cette région », le fait que la « raison » y soit encore « fragile », favorisant l’épanouissement des courants « fanatiques », plus particulièrement intégristes religieux, y compris au sein de l’État juif. « Il ne faut pas leur en vouloir. C’est leur âme orientale qui veut ça », écrivait encore Auguste le Breton dans un de ses fameux romans d’espionnage. De même qu’en ce qui concerne l’intégrisme musulman, on pourrait critiquer longuement la catégorie englobante d’intégrisme juif pour parler des courants sionistes les plus radicaux. Les « fondamentalistes » juifs ne sont pas nécessairement sionistes, et les sionistes les plus radicaux ne sont pas forcément religieux, à l’instar, pour donner un exemple, des courants qui s’appuient sur la communauté d’origine russe. Fourest l’ignore parce qu’elle est convaincue que la « région » produit du fanatisme religieux, mais aussi parce qu’elle est convaincue que l’État d’Israël est mal-blanchi. Je l’ai déjà souligné, pour elle, la Raison trouve son plein épanouissement dans la laïcité et, plus exactement, dans la laïcité « à la française ». Cette Raison serait portée par l’Occident, c’est-à-dire le monde blanc. Or, Israël, produit de la prise de conscience universaliste au lendemain de la Seconde guerre mondiale, aurait relativement échoué dans l’intégration des juifs au monde blanc et par conséquent à la Raison. En témoigne le fait que le nouvel État, bien que caractérisée par elle d’État laïc, a été « dès sa naissance » saisi par « l’emprise religieuse ». Ainsi, ajoute-t-elle, « la pression mise, dès le départ, par les orthodoxes explique en tout cas pourquoi Israël n’a jamais pu se doter d’une constitution civile ; ce qui aurait nui à leur emprise ». Elle poursuit dans le même sens : « En 1953, sur leur insistance, une loi fut même votée pour élargir la juridiction des tribunaux rabbiniques en matière de mariage et de divorce. Ce qui est le signe flagrant d’une faille dans la laïcité affichée d’Israël est aussi le lieu où les Juifs religieux ont imposé leur pouvoir sur leurs concitoyens. En l’absence d’une constitution garantissant à chaque citoyen une égalité de traitement, Israël fonctionne comme le Liban où n’importe quel pays non modernisé de l’ex-Empire ottoman . » En d’autres termes, malgré sa « laïcité affichée », l’État d’Israël reste trop « oriental » ! Je ne pense pas extrapoler en affirmant qu’en arrière-plan d’une telle analyse il y a le reflet de l’une des hiérarchisations constitutives d’Israël, entre les juifs bien blanchis, assimilés, européens, largement déconfessionnalisés et les juifs dit « orientaux » (incluant, pour une part, les juifs d’Europe de l’Est, Russes, notamment, toujours considérés dans l’imaginaire occidental comme des semi-orientaux). L’influence politique ascendante des intégristes juifs que dénonce Caroline Fourest n’est autre que l’influence de l’Orient obscurantiste. Lorsqu’elle affirme que « les extrémistes religieux sont devenus les principaux obstacles à la fin de l’occupation des Territoires », une explication qui semblera évidente à de nombreux lecteurs non-avertis, elle occulte tout autant la politique coloniale des courants laïques en Israël, qu’ils soient de gauche ou de droite, que les raisons historiques qui ont poussé vers un sionisme radical les courants qui s’enracinent plus particulièrement au sein des juifs « orientaux », considérés comme des juifs de seconde zone depuis la fondation d’Israël. En examinant minutieusement les écrits de Caroline Fourest, on constate que cette petite phrase (« Les fanatiques de chaque côté ont dévoré la raison – fragile – de cette région ») contient en vérité la clé de son positionnement par rapport à Israël, une fois débarrassé des incohérences qui l’encombrent, suscitées par les multiples enjeux dont l’ambitieuse Fourest doit tenir compte pour assurer le bon déroulement de sa carrière. Ce positionnement peut être résumé en quelques mots : le drame d’Israël, c’est d’être un État juif, beaucoup trop juif, infesté, de surcroît, de juifs « orientaux ». Surtout, oh oui, surtout, le problème d’Israël, c’est d’avoir été implanté dans une « région » rétive à la « Raison ». Source : http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1710
Fourest et Israël, Sadri Khiari

Le « conflit israélo-palestinien », en tant que tel, est fort peu présent dans la prose fourestienne. En tant que journaliste, elle l’aborde uniquement quand il s’agit de commenter une actualité brûlante dont il est immédiatement partie prenante, ou quand elle évoque certains pans de l’histoire de l’islam politique. Guère plus. Elle s’en explique ainsi : « En tant que journaliste spécialisée dans l’étude des intégrismes, je travaille sur tous les intégrismes, juif, chrétien et musulman. Le sionisme n’entre pas, en soi, dans mon champ d’application. En réalité, il ne fait pas vraiment partie, je le confesse de façon presque honteuse, de mes centres d’intérêts. » Une note rédigée plus tard est censée la prémunir contre toute critique : « Il ne s’agit pas du tout de laisser penser que ce conflit m’indiffère en tant qu’humaniste, mais simplement d’expliquer que je souhaite absolument dissocier la question intégriste de la question israélo-palestinienne. Pour cette raison, j’ai tout fait pour me tenir à l’écart de ce sujet, afin de ne pas brouiller mon message, qui porte sur tous les intégrismes. »

En réalité, si on ne peut que lui reconnaître l’incompétence qu’elle revendique, le conflit en question est omniprésent dans son approche de l’intégrisme musulman. Plus, son parti pris en faveur du « seul pays démocratique du Moyen-Orient » est tout à fait transparent. Travesti en affrontement opposant juifs et antisémites, totalitaires et antitotalitaires, il constitue un élément majeur de ses analyses et de ses prises de position. Pour elle, souvenons-nous, la prise de conscience occidentale suscitée par le génocide des juifs aurait accouché de l’antitotalitarisme, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’État d’Israël, refuge des survivants de la Shoah. Par ailleurs, tel qu’il s’exprime, selon elle, à travers l’opposition à Israël, l’antisémitisme serait l’une des principales composantes idéologiques de l’intégrisme musulman, le lieu de convergence de ce nouveau totalitarisme et de la gauche radicale.

Vive la paix (imposée aux Palestiniens) !

Fidèle à sa stratégie de communication, Fourest défend une position censée être « équilibrée », consensuelle, tellement banale qu’elle se présente faussement comme une évidence partagée par tous les gens raisonnables. « Pour tout dire, écrit-elle ainsi, je n’ai d’autres avis sur ce conflit que celui de l’immense majorité des citoyens. ‘Deux peuples, deux États’, et vite. » Pour conforter l’apparence pondérée de ce point de vue, elle l’oppose à l’antisionisme, considéré comme extrémiste, et imprégné d’antisémitisme, ainsi qu’à la politique menée par les « faucons israéliens ». Dans « Tirs croisés », déjà, elle prend soin de se démarquer de la politique de Sharon. Lors de l’offensive militaire contre les Palestiniens de Gaza, elle dénonce les « crimes de guerres » commis par l’armée israélienne. Aujourd’hui, elle critique sévèrement la droite dure au pouvoir en Israël et la colonisation de nouveaux territoires et apporte son soutien à Obama dont elle espère une politique qui favorise la paix. Faudrait-il en faire plus pour mériter le titre de militante de la paix ? N’a-t-elle pas, en outre tenu tête à l’avocat ultra-sioniste, William Goldanel, lors d’une émission télévisée ? Son article intitulé « Israël contre Obama » ne lui a-t-il pas valu les foudres de Paul Landau, « pseudonyme de Pierre Lurçat, l’un des cofondateurs de la Ligue de défense juive en France… Une organisation extrémiste, à droite du Bétar » ? Fourest, la sainte, n’a d’ailleurs que faire de ces fanatiques qui l’attaquent. Courageuse, amoureuse de la paix, elle s’obstine à faire entendre la voix de la sagesse et tente humblement « de porter la parole d’associations pacifistes comme « La Paix maintenant » ». C’est ce qu’elle appelle avoir une position « équilibrée ». Et gageons que, malheureusement, nombreux seront ses lecteurs, abreuvés par les commentaires partisans et le filtrage de l’information médiatique, qui n’y verront que du feu. Il n’en est pourtant rien. Le point de vue défendu par Caroline Fourest est tout sauf « équilibré », et certainement pas « raisonnable ». Il est tout simplement favorable à Israël.

Ainsi, lorsque, pour attester de sa motivation principalement « humaniste », elle affirme vouloir « porter la parole d’associations pacifistes comme « La Paix maintenant » », elle se place spontanément et peut-être sans même s’en apercevoir d’un point de vue israélien. Elle aurait pu évoquer également des mouvements pacifistes palestiniens, cela ne lui vient même pas à l’idée. Caroline Fourest a exprimé des critiques très sévères concernant la tuerie israélienne à Gaza, soit ! Il n’est pas inutile cependant de les examiner de près. Fourest, en effet, n’en conteste pas les prétextes officiels. Elle regrette simplement que cette intervention ait été – pour reprendre la formule consacrée par les médias – une « riposte disproportionnée » aux roquettes qui harcèlent Israël. Elle y voit une opération « contre-productive » qui fait le jeu du Hamas et altère la « force morale » de l’État hébreu en l’« éloignant […] de l’‘humanité’». N’oublions pas que, pour elle, Israël est « le seul État démocratique du Moyen-Orient », cette ritournelle de la propagande sioniste qui néglige tout simplement le fait de la colonisation et de l’apartheid racial que subissent les Palestiniens.

Dans « Israël contre Obama », Caroline Fourest approuve avec enthousiasme les thèses défendues par Elie Barnavi, dans un livre au titre significatif, « Aujourd’hui ou peut-être jamais. Pour une paix américaine au Proche-Orient ». Il est intéressant de se pencher un moment sur ce personnage qui rencontre tant de sympathie au sein des « élites intellectuelles » de gauche et leur permet de défendre Israël, en toute bonne conscience. Historien israélien, membre du mouvement « La Paix maintenant »,
Elie Barnavi s’est surtout fait connaître au sein de l’Hexagone en tant qu’ambassadeur de l’État sioniste entre 2000 et 2002. Depuis, il a publié de nombreux ouvrages dans de grandes maisons d’édition françaises. Ayant la réputation d’être un homme de gauche, modéré, pacifiste, ouvert au dialogue avec les Palestiniens, partisan des « deux États », n’hésitant pas à dire leur fait aux dirigeants sionistes les plus belliqueux, il occupe régulièrement les plateaux télévisés où il est accueilli comme un homme politique doublé d’un intellectuel blanc et francophile – ce qui n’est pas la moindre de ses qualités du point de vue des médias français. Il a également l’immense qualité, à leurs yeux, d’être un ami de Bernard-Henri Levy, dont il s’est complu d’ailleurs à faire un portrait des plus flatteurs à l’intention des lecteurs de « Marianne ». Il a donc tout pour plaire. En vérité, à l’instar du « Camp de la Paix » et de nombreux intellectuels israéliens qui « rivalisent d’injustice en parlant de justice », Elie Barnavi est favorable à la paix aux conditions imposées par Israël. L’État palestinien indépendant qu’il appelle de ses vœux ne saurait pour lui être autre chose qu’un État croupion, doté d’une souveraineté limitée, une forme d’autonomie administrative, confinée aux territoires inutiles à l’État d’Israël d’un point de vue économique, militaire et symbolique, et maintenu sous contrôle étroit de la sécurité israélienne, ou américano-israélienne. En quelque sorte, un assemblage de bantoustans qui n’ont d’État que le nom.
Cette « paix », adossée en premier lieu à la puissance états-unienne et, secondairement, européenne, favoriserait le rayonnement économique israélien dans tout le Moyen-Orient, et ancrerait définitivement l’État juif au sein du monde blanc impérialiste et « civilisé », marginalisant enfin les juifs « orientaux », mal-blanchis, dont les mœurs primitives et l’aventurisme boutefeux risqueraient aujourd’hui de mener Israël à sa perte ou, à tout le moins, de le faire dévier du projet des pères fondateur de l’idéal (colonial) sioniste. La perspective que défend l’ancien ambassadeur israélien en France implique nécessairement, on s’en doute, le désarmement militaire et politique de la résistance palestinienne. Non pas seulement contraindre les Palestiniens à renoncer à leurs revendications (notamment la souveraineté sur Jérusalem et le retour des réfugiés de 1948) mais, plus encore, les amener à accepter le principe de négociations sans rapport de forces, c’est-à-dire en se fiant tout simplement à la bonne volonté israélienne et à l’« arbitrage » modérateur américain. Autant dire négocier à poil.

Cette position fonde à la fois le « pacifisme » d’Elie Barnavi et son appui aux autorités israéliennes lorsque celles-ci s’engagent dans une opération militaire pour briser la résistance palestinienne. Ainsi, récemment nommé ambassadeur en France en l’an 2000, au moment où Israël menait une effroyable expédition meurtrière en Cisjordanie, il ne s’est pas privé de jouer son rôle de propagandiste au service de l’armée israélienne. Il a poussé l’ignoble jusqu’à contester la véracité du fameux reportage vidéo réalisé en septembre 2000 par le cameraman palestinien de France 2, Talal Hassan Abu-Rahma, et le journaliste Charles Enderlin, montrant l’assassinat du jeune Mohamed al-Dura par des militaires israéliens. Lors de l’offensive contre Gaza, bien que n’ayant aucune fonction officielle, il joue son rôle de petit soldat de l’État juif sur les plateaux télévisés. Aujourd’hui, Elie Barnavi, qu’admire Caroline Fourest, s’oppose de manière virulente au gouvernement Netanyahou, mais il est fortement probable que, si ce dernier déclenchait de nouveaux affrontements sanglants, comme à son habitude, Barnavi sera là, à son poste sur le front médiatique, pour défendre la soldatesque sioniste.

Dans cet article où elle cultive le mythe d’un Obama, héraut de la paix au Moyen-Orient, Fourest regrette, avec Barnavi, « les entraves rencontrées par la paix de part et d’autre » et reprend à son compte cette contre-vérité : « Les accords existent, les plans sont prêts depuis longtemps, dans les moindres détails… Il ne manque que la détermination politique et des interlocuteurs pour signer. » Stratégie discursive classique qui consiste, pour présenter sa propre position comme étant « raisonnable » et « équilibrée », à rejeter les autres positions dos à dos, à des pôles extrêmes. Mais, au-delà de la simple rhétorique, il y a plus grave : une telle affirmation, en effet, assimile abusivement la situation des Palestiniens et celle de l’État d’Israël. Elle occulte totalement la réalité qui est celle d’un peuple colonisé, écrasé depuis soixante ans, réduit à l’exil, à la misère, qui tente désespérément d’exister face à la barbarie d’un État colonial tout-puissant et armé jusqu’aux dents. Une telle affirmation dissimule près de vingt ans d’histoire au cours desquels la direction du Fatah, alors majoritaire en Palestine, a effacé d’un trait de plume des pans entiers de son programme fondateur dans le vain espoir que l’État juif consentirait finalement à l’existence d’un État palestinien souverain dans une portion de la Palestine historique. Depuis les accords d’Oslo signés en 1993, Arafat a multiplié les concessions, il s’est plié aux exigences croissantes des Israéliens, il n’a pas hésité à s’impliquer, aux côtés des forces de sécurité israéliennes, dans la répression des mouvements palestiniens accusés d’« extrémisme » dès lors qu’ils s’opposaient au piège représenté par Oslo. De leur côté, loin de respecter, sinon à la marge, les accords conclus, les autorités israéliennes, y compris sous les travaillistes, n’ont eu de cesse de coloniser de nouveaux territoires, de spolier d’autres richesses palestiniennes, de restreindre au maximum les concessions, de sursoir à l’application des accords, voire de les abroger, de fixer sans cesse de nouvelles conditions, inacceptables, à une Autorité palestinienne de plus en plus impuissante. Le résultat est connu : Arafat ne pouvait aller plus loin dans les concessions unilatérales, refusant notamment de signer l’accord de capitulation que s’acharnaient à lui imposer le Premier ministre israélien, Ehoud Barak, et Bill Clinton, lors des fameuses négociations de Camp David II, en juillet 2000. C’est alors qu’une gigantesque machine de désinformation popularise à l’échelle planétaire l’un des plus gros mensonges de l’histoire : Arafat aurait refusé les « offres généreuses » des Israéliens. Plus : depuis Oslo, il se serait évertué à saboter le « processus de paix » et aurait encouragé en sous-main le « terrorisme ».

Dans « Tirs Croisés », Caroline Fourest ne dit pas autre chose. Le leader palestinien, suggère-t-elle de manière transparente, serait directement responsable des actions kamikazes : « Bien que Yasser Arafat dise s’opposer aux opérations suicides, plusieurs religieux officiels de l’Autorité palestinienne approuvent le recours aux bombes humaines. » Dans le droit fil du discours officiel israélien, elle accuse l’Autorité palestinienne de faire la promotion des attentats suicides dans les écoles : « A force d’élever des générations entières dans le culte du martyr – que ce soit à l’école, en famille ou lors des enterrements – tout en promettant sans cesse une vie de rêve après la mort, l’Autorité palestinienne se trouve de plus en plus confrontée à des phénomènes suicidaires chez les enfants, les premiers à prendre au pied de la lettre cette propagande. » Mais elle va plus loin encore dans l’amalgame en impliquant également « les États arabes » : alors que « le gouvernement israélien peut se vanter de désamorcer les bombes (des intégristes juifs) avant qu’elles n’explosent [...] les États arabes et l’Autorité palestinienne ne font pas preuve de la même détermination pour dissuader leurs concitoyens de se transformer en bombes humaines ».

Cette campagne de désinformation menée par l’État hébreu et reprise a posteriori par Caroline Fourest n’avait pas pour seul objectif de dédouaner le gouvernement israélien de l’échec des négociations, elle devait préparer une nouvelle intervention militaire israélienne en Palestine, de nouvelles destructions, des massacres et, finalement, la mort mystérieuse du leader palestinien, à laquelle les autorités israéliennes sont fortement soupçonnées de ne pas être étrangères. Cependant, même si depuis les faits sont mieux connus, reste l’essentiel : alors qu’en réalité Israël a tout fait et continue de tout faire pour barrer la route à toute négociation qui ne soit pas une reddition pure et simple des Palestiniens, l’idée que ceux-ci sont fermés à toute concession continue d’être l’une des armes favorites des « amis » d’Israël.

Et c’est ce discours que reprend à peu de chose près Caroline Fourest, quand bien même elle impute désormais à Israël – non sans relativiser immédiatement son propos – une responsabilité dans la dégradation sensible de la situation : « Force est de constater, écrit-elle ainsi, qu’aujourd’hui, sans doute plus qu’hier, le gouvernement israélien porte la responsabilité du blocage. En s’obstinant à rater l’échéance, les jusqu’au-boutistes de la cause israélienne ont renforcé les jusqu’au-boutistes de la cause palestinienne : les Frères musulmans du Hamas. » Ce paragraphe mériterait de figurer dans une anthologie de la mauvaise foi, maquillée en intention louable. « Force est de constater », écrit Fourest, autrement dit : je constate à contrecœur « la responsabilité » d’Israël. La formule « aujourd’hui, sans doute plus qu’hier » suggère, bien sûr, qu’« hier », les Palestiniens étaient les principaux responsables. Nous aurions deux « causes » équivalentes, explique-t-elle, donc aussi juste l’une que l’autre, la « cause israélienne » et la « cause palestinienne » et deux « jusqu’au-boutismes » qui se font face. Les acteurs du conflit sont mis ainsi sur le même plan et, en apparence, rejetés dos à dos. En apparence, car, attention, le grand tort des « jusqu’au-boutistes » israéliens, c’est en quelque sorte leur maladresse : ils ont « renforcé les jusqu’au-boutistes » palestiniens !

Un conflit territorial et non une guerre coloniale

Pour Caroline Fourest, l’État d’Israël dans ses frontières (non délimitées) de 1948 n’est pas un État colonial. En fait, on ne trouvera jamais une telle affirmation sous sa plume. Non pas qu’elle veuille camoufler son opinion, mais, vraisemblablement, il ne lui vient même pas à l’idée que la question puisse être posée. La fondation d’Israël lui apparaît seulement comme l’aboutissement d’un processus naturel d’immigration des juifs en Palestine, puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de la recherche d’un lieu d’asile où les rescapés juifs des camps nazis pourraient vivre en paix, réconciliant le monde blanc avec sa bonne conscience. L’aveuglement de Fourest est à ce point profond qu’elle commet des contresens flagrants quand elle aborde certaines critiques à l’encontre du sionisme ou de l’État israélien. Son incapacité à les comprendre est patente dans les réponses qu’elle leur oppose et qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas le produit d’une simple mauvaise foi, mais avant tout d’une intériorisation très poussée de la « légitimité » de l’État sioniste, doublée d’une ignorance abyssale de l’histoire contemporaine du Proche-Orient.

Ainsi, lorsqu’elle affirme que « l’amalgame entre sionisme et racisme est une escroquerie », elle a certainement pour objectif de défendre l’État d’Israël contre toute qualification infamante, mais, en vérité, elle ne comprend même pas la signification de cette formule qui lui paraît être un « amalgame ». Car, en premier lieu, pour elle, l’État d’Israël étant démocratique, il ne peut être associé au racisme. Elle n’envisage pas un instant la condition des Palestiniens « israéliens », une communauté qu’elle ignore superbement dans la bonne tradition coloniale. Convaincue, en outre, que la colonisation ne concerne que les implantations israéliennes dans les territoires occupés en 1967 et qu’elle se définit seulement en tant qu’occupation de territoires, elle est incapable de concevoir le moindre rapport entre le sionisme et le racisme. D’où ces commentaires qui peuvent sembler absurdes dès qu’on a une vision mieux informée des rapports coloniaux : « Comme si le conflit israélo-palestinien relevait du racisme et non d’un conflit territorial » ; ou encore : « Comme si la mort de civils palestiniens relevait du racisme et non de crimes de guerre liés à un conflit territorial. » A ses yeux, pour qu’il y ait racisme, il faudrait au moins qu’en faisant exploser le crâne d’un vieillard palestinien en quatre-vingt morceaux, le sniper israélien le traite de « sale Arabe ». Là, oui, elle y verrait du racisme. L’affrontement entre Palestiniens et Israël est réduit ainsi à un « conflit territorial », une querelle entre deux peuples qui se disputent un territoire qui pourrait appartenir à l’un comme à l’autre.

De même, on pourrait voir des contradictions dans certaines des affirmations de Fourest alors qu’elles sont parfaitement cohérentes avec la grille de lecture qui est la sienne. A propos des manifestations antisionistes qui ont accompagné la conférence de Durban I, elle écrit par exemple : « Je n’aurais pas été choquée si des militants antiracistes avaient simplement exigé la condamnation d’Israël comme ‘État colonisateur’. On peut parler de politique ‘colonisatrice’ envers les Palestiniens. » Quand on perçoit la relation intime qui existe entre colonialisme et racisme, on ne peut qu’être surpris que Fourest, qui dénonce l’assimilation entre sionisme et racisme, puisse avoir écrit ces mots. Or, dans cette phrase, ce qui ne « choque » pas Fourest, c’est de voir dénoncées les nouvelles implantations dans les territoires de 1967 ; c’est dans cette limite bien précise qu’elle consent à employer (non sans ajouter des guillemets) les termes « État colonisateur » ou politique « colonisatrice ». Ce qu’elle est prête à condamner, c’est seulement « l’expansionnisme de type colonialiste des intégristes juifs ». En d’autres termes, le sionisme et l’État d’Israël, ne sont pas colonialistes – et évidemment pas racistes. Seule la politique des intégristes juifs, dont elle regrette l’influence sur l’État, revêt un caractère « expansionniste de type colonialiste ».
Quoi qu’il en soit, cependant, l’intégrisme juif serait moins dangereux que l’intégrisme musulman. « Démocratique », l’État d’Israël disposerait, en effet, de mécanismes de « contre-pouvoirs » susceptibles de mettre un frein à l’expansion – présentée pourtant comme irrésistible dans « Tirs croisés » – de l’intégrisme juif. Alors que du côté Palestinien, on encourage le terrorisme intégriste, c’est le contraire qui serait vrai en Israël : « Leaders palestiniens et leaders israéliens manipulent leur peuple au gré de leurs besoins politiques », écrit-elle, semblant ainsi les renvoyer dos à dos. Mais c’est pour préciser immédiatement : «… les uns comme boucliers humains, les autres comme bombes humaines. » Les Israéliens manipulent donc pour se défendre, les Palestiniens pour commettre des actes terroristes. « Les intégristes juifs, écrit-elle encore, ne rencontrent aucun encouragement lorsqu’ils se décident à pratiquer le terrorisme », car « l’intérêt d’Israël réside bien dans la colonisation de territoire et non dans l’attaque frontale ». Cette phrase, alors que depuis des années Israël combine colonisation et attaque militaire frontale – du terrorisme d’État, bien plus efficace que l’éventuel terrorisme juif – laisse pour le moins dubitatif.

Une terre où germe la déraison

Nous abordons, ici, un deuxième paramètre autour duquel est construite la grille de lecture du « conflit » par Fourest. Citons à nouveau « Israël contre Obama ». Après avoir rejeté dos à dos les deux « jusqu’au-boutismes », Palestiniens et intégristes israéliens, elle écrit : « Les fanatiques de chaque côté ont dévoré la raison – fragile – de cette région ». Fort probablement, cette phrase a été ajoutée par l’auteur pour donner à son article de la hauteur philosophique – condition en France pour être reconnu au sein de l’élite intellectuelle. Elle est cependant extrêmement révélatrice. Elle rappelle indubitablement la philosophie coloniale de l’histoire, classant les races selon les progrès supposés de la Raison universelle en leur sein : les Blancs, bien sûr, qui communient avec la Raison, les Noirs, bien loin encore d’« entrer dans l’Histoire », les Arabes (ou les musulmans ou encore les « Sémites ») qui, après une période de stagnation, auraient considérablement régressé. Dans le même esprit, Fourest suggèrent que les tragédies qui déchirent le Moyen-Orient, depuis des décennies, ne sont pas dues aux politiques impériales – anglo-françaises puis américaines – et à l’implantation d’un État colonial, Israël, sur les terres palestiniennes, mais à une particularité inhérente à « cette région », le fait que la « raison » y soit encore « fragile », favorisant l’épanouissement des courants « fanatiques », plus particulièrement intégristes religieux, y compris au sein de l’État juif. « Il ne faut pas leur en vouloir. C’est leur âme orientale qui veut ça », écrivait encore Auguste le Breton dans un de ses fameux romans d’espionnage.

De même qu’en ce qui concerne l’intégrisme musulman, on pourrait critiquer longuement la catégorie englobante d’intégrisme juif pour parler des courants sionistes les plus radicaux. Les « fondamentalistes » juifs ne sont pas nécessairement sionistes, et les sionistes les plus radicaux ne sont pas forcément religieux, à l’instar, pour donner un exemple, des courants qui s’appuient sur la communauté d’origine russe. Fourest l’ignore parce qu’elle est convaincue que la « région » produit du fanatisme religieux, mais aussi parce qu’elle est convaincue que l’État d’Israël est mal-blanchi. Je l’ai déjà souligné, pour elle, la Raison trouve son plein épanouissement dans la laïcité et, plus exactement, dans la laïcité « à la française ». Cette Raison serait portée par l’Occident, c’est-à-dire le monde blanc. Or, Israël, produit de la prise de conscience universaliste au lendemain de la Seconde guerre mondiale, aurait relativement échoué dans l’intégration des juifs au monde blanc et par conséquent à la Raison. En témoigne le fait que le nouvel État, bien que caractérisée par elle d’État laïc, a été « dès sa naissance » saisi par « l’emprise religieuse ». Ainsi, ajoute-t-elle, « la pression mise, dès le départ, par les orthodoxes explique en tout cas pourquoi Israël n’a jamais pu se doter d’une constitution civile ; ce qui aurait nui à leur emprise ». Elle poursuit dans le même sens : « En 1953, sur leur insistance, une loi fut même votée pour élargir la juridiction des tribunaux rabbiniques en matière de mariage et de divorce. Ce qui est le signe flagrant d’une faille dans la laïcité affichée d’Israël est aussi le lieu où les Juifs religieux ont imposé leur pouvoir sur leurs concitoyens. En l’absence d’une constitution garantissant à chaque citoyen une égalité de traitement, Israël fonctionne comme le Liban où n’importe quel pays non modernisé de l’ex-Empire ottoman . » En d’autres termes, malgré sa « laïcité affichée », l’État d’Israël reste trop « oriental » !

Je ne pense pas extrapoler en affirmant qu’en arrière-plan d’une telle analyse il y a le reflet de l’une des hiérarchisations constitutives d’Israël, entre les juifs bien blanchis, assimilés, européens, largement déconfessionnalisés et les juifs dit « orientaux » (incluant, pour une part, les juifs d’Europe de l’Est, Russes, notamment, toujours considérés dans l’imaginaire occidental comme des semi-orientaux). L’influence politique ascendante des intégristes juifs que dénonce Caroline Fourest n’est autre que l’influence de l’Orient obscurantiste. Lorsqu’elle affirme que « les extrémistes religieux sont devenus les principaux obstacles à la fin de l’occupation des Territoires », une explication qui semblera évidente à de nombreux lecteurs non-avertis, elle occulte tout autant la politique coloniale des courants laïques en Israël, qu’ils soient de gauche ou de droite, que les raisons historiques qui ont poussé vers un sionisme radical les courants qui s’enracinent plus particulièrement au sein des juifs « orientaux », considérés comme des juifs de seconde zone depuis la fondation d’Israël.

En examinant minutieusement les écrits de Caroline Fourest, on constate que cette petite phrase (« Les fanatiques de chaque côté ont dévoré la raison – fragile – de cette région ») contient en vérité la clé de son positionnement par rapport à Israël, une fois débarrassé des incohérences qui l’encombrent, suscitées par les multiples enjeux dont l’ambitieuse Fourest doit tenir
compte pour assurer le bon déroulement de sa carrière. Ce positionnement peut être résumé en quelques mots : le drame d’Israël, c’est d’être un État juif, beaucoup trop juif, infesté, de surcroît, de juifs « orientaux ». Surtout, oh oui, surtout, le problème d’Israël, c’est d’avoir été implanté dans une « région » rétive à la « Raison ».

Source : http:// www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1710
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