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12 janvier 2008 6 12 /01 /janvier /2008 13:25

Elias Khoury dirige le supplément culturel du quotidien An-Nahar. Né en 1948 à Beyrouth, il devient propalestinien à 20 ans au contact des Palestiniens des camps de Jordanie. Peut-être y croisa-t-il Jean Genet après les massacres de « Septembre noir » en 1970 ?

L'image “http://www.letemps.ch/custom/imagesCritique/3095.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs. Les deux auteurs et poètes ont un peu du même sang dans leur écriture métaphorique et leur engagement de terrain. C’est à Paris que Khoury rédigera son mémoire sur la guerre civile libanaise de 1860, qui à ce moment-là opposait les Druzes aux chrétiens. Et c’est toujours dans la guerre civile (dont il paye le prix fort en 1975 lors d’un attentat où il manque perdre la vue), la résistance et l’amour que se forge son écriture. Après La Petite Montagne (1977), il n’a cessé d’écrire, publiant en point d’orgue sa Porte du soleil.

Dans ce nouveau roman, Comme si elle dormait, Khoury gagne encore en maturité émotionnelle et littéraire. Milia, une « jeune » Beyrouthine de 77 ans, remonte sa vie dans ses rêves et y projette aussi l’avenir de l’humanité. Ils pourraient relever du cauchemar si sa lucidité, son appétit de vivre et sa détermination à rester une femme libre ne venaient fracasser le réel. Au cœur de son rêve le plus précieux, l’histoire d’amour avec son mari, Mansour, entre Beyrouth et Nazareth. Une histoire politiquement empêchée que l’on ne connaît que trop, mais Mansour et Milia restent liés comme des amants éternels : «  La femme se met à nu quand elle parle alors que l’homme s’habille en parlant. »

C’est aussi le passé familial qui est le socle de cette histoire-là : la grand-mère de Milia, déjà, dut couvrir sa virginité à la suite de la naissance (forcément fautive) d’un enfant hors mariage mais dans l’amour. Tandis que le grand-père assumait, lui, une liaison non clandestine avec une Egyptienne... Tous les ingrédients sont là pour que Milia se défie autant des « miracles » que des hommes et ne voue un amour-fascination qu’à sa mère.

Outre les qualités de récit des Mille et une nuits qui caractérisent l’écriture, l’amateur d’histoire se régalera de parcourir l’Orient du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe et découvrira que le concept de « libération » – que l’on parle de la « femme », d’un « territoire », d’un « pays » – était resté jusqu’à présent exploré avec fantaisie, pour ne pas dire manque de rigueur. Quant au poète, il trouvera musique et rimes à son pied, même si la traduction ne peut rendre les « alexandrins » ; on soupçonne Khoury d’avoir cherché à en mettre dans son texte autant écrit que parlé pour nous donner l’envie de pleurer de bonheur ou de désespoir.

Comme si elle dormait de Élias Khoury
traduit de l’arabe par Rania Samara
Actes Sud, Arles, 2007
390 pages, 23 euros

« La jeune fille n’est pas morte, mais elle dort » (phrase tirée du Nouveau Testament) sont les quelques mots calligraphiés au bas de la photographie de la belle Milia que découvre son neveu, accrochée au mur de la maison familiale... En fait Milia n’est ni morte ni endormie. Elle a les yeux clos mais grands ouverts, et l’on voudrait la rejoindre dans ses rêves. Pour le meilleur comme pour le pire.

Marina Da Silva - Le Monde diplomatique de décembre 2007

aloufok.net
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A lira absolument, L’Abécédaire Mal-Pensant, de Jean-François Kahn (Plon, 2007).

Best of :


Ahmadinejad, Mahmoud – Dictateur - étant entendu qu'un président élu qui pense très mal est un dictateur alors qu'un autocrate héréditaire ou putschiste qui pense bien est un modéré.

Assistanat – Pratique qu'un homme de droite défend quand il sort de l'église et stigmatise quand il entre au Parlement. La gauche, elle, est passée de la dictature du prolétariat à la dictature qu'exercent sur elle les assistés.

Besancenot – Facteur d'Alain Krivine et vedette de télévision (sur TF1 on dit "notre ami Besancenot"). Redoutable révolutionnaire trostkiste au verbe sympathiquement juvénile qui parvient, tous les cinq ans, à soulever électoralement entre 3 et 4% des masses exploitées qu'il enferme, ensuite, dans le but de les confire, dans le congélateur d'une radicalité neutralisante : ce pourquoi la grande bourgeoisie lui voue autant de paternelle tendresse.

Blairisme – C'est le seul type de gauche que les éditorialistes des médias dominants blairent vraiment, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas dans le nez. Après son alignement sur Georges Bush lors de la guerre d'Irak, André Glucksmann, l'immense philosophe que l'on sait, écrivit que cet engagement en faisait le plus grand homme d'Etat de notre temps. Adulé en France par le pouvoir médiatique mais désormais rejeté par les Anglais, le blairisme représente a priori la façon la plus à droite d'être de gauche. [...] Il a fortement contribué à paupériser, matériellement et moralement, des couches sociales dont traditionnellement les travaillistes se réclamaient. Les inégalités ont encore plus augmenté en Grande-Bretagne sous Blair qu'en France sous Juppé, Jospin et Raffarin. Nos médias en ont déduit, ravis, qu'il était beaucoup plus "moderne".

Caviar – Lentille de mer réputée de gauche sous prétexte qu'elle est hors de prix. Ce qui est injuste : l'élitisme de gauche consisterait plutôt à se faire servir un oeuf d'esturgeon à la coque.

Chili – Un cas d'école que la droite a intérêt à faire oublier : un socialisme démocratique y fut remplacé, après un coup d'Etat, par une dictature libérale.

Colonies – Les nouveaux colonialistes préfèrent désormais parler d'implantantions.

Communauté – Ensemble de personnes que lient entre elles des liens spécifiques. Quand on dit la communauté, cela désigne, en revanche, un collectif de juifs sarkozystes.

Délinquant – Personne qui a commis un délit de nature criminelle. Pour la bourgeoisie louis-philipparde, le prolétaire était un délinquant de suspicion. Pour les bobos libertaires d'aujourd'hui, le délinquant est devenu un prolétaire de substitution.

Gauche moderne – Désigne une gauche qui se positionnerait au centre droit. [...] Le critère de la "modernité" est ici le degré de soumission à l'ordre établi - en l'occurrence l'ordre établi par la mondialisation néolibérale - ce qui est assez logique puisque, par définition, ce qui est "établi" est moderne. De même, un catholique moderne est un catholique qui ne croit pas en Dieu.

Guerre – Façon de régler un problème. Longtemps, un partisan de la guerre fut appelé un belliciste. Désormais, on préfère dire "défenseur des droits de l’homme". Hier, on faisait la guerre au nom de la paix. Aujourd’hui, on défend les droits de l’homme en exterminant les hommes qui ne défendent pas comme il convient leurs droits.

Hypermarché – Très grande surface qui, en violentant ses fournisseurs par sa masse, peut abaisser ses prix d'appel, multiplier ses tentations, et inciter, de la sorte, les consommateurs à dépenser beaucoup plus que dans un commerce de proximité. Joue un rôle essentiel dans le processus de déshumanisation des rapports d'altérité.

Jospiner – Terme érotique qui signifie se retirer tout le temps pour mieux constamment tenter de revenir.

Libérateur – "Occupant" en arabe.

Margarine – Est au beurre ce que la social-démocratie est au socialisme.

Poney – Cheval sarkozyste.

Parachute doré – Ce qui permet à un grand patron qui échoue de ramasser beaucoup plus d'argent qu'un petit patron qui gagne.

Privatisation – Paradoxe : cet acte - l'appropriation personnelle d'une terre, d'un territoire, d'un bien, d'un moyen de production ou d'un service - est devenu, en soi, synonyme de "modernité". D'où il découle que le Moyen-Âge, époque où même les armées, la police, la justice et la monnaie étaient privatisées, mérite de devenir furieusement moderne.

Prolétaire – Mot devenu quasiment obscène, alors même que "bite" et "enculé" sont devenus tout à fait courants.

Propagande – On préfère désormais, en particulier dans les médias audiovisuels, dire "information non partisane". Et c’est vrai : elle n’est pas au service d’un parti, mais d’un homme.

Relativité – La Russie commet un génocide en Tchétchénie, mais les Etats-Unis tentent de conforter la démocratie en Irak. Le Vénézuelien Hugo Chavez est un dictateur extrémiste mais le roi d’Arabie saoudite est un modéré partisan des réformes. Les Français sont des nationalistes étriqués et frileux, les Anglais sont des insulaires aiment leur patrie et attachés aux traditions. Poutine est un autocrate mais Sarkozy est un hyper-président.

Ségolène – Femme battue qui en redemande. C'est pourquoi tant de féministes lui sont hostiles.

Social – Qualificatif qu'il convient d'ajouter à toute entreprise dont le caractère antisocial risquerait de paraître impudique. Ainsi, une charette de licenciements devient un "plan social". Un impôt qui frappe les consommateurs pour compenser une baisse de charges patronnales s'intitule une "TVA sociale". Favoriser les heures supplémentaire au détriment du travail est censé représenter la quintessence de la "politique sociale". Par extension, le viol peut être qualifié de pudique attouchement et un massacre à la tronçonneuse d'humanitariste agression.

Socialistes – Ensemble de chapelles qui, dépourvue de Vatican, ont également perdu leurs cathédrales et leurs basiliques. Plus de pape, donc plus de soupape. Plus de points cardinaux, donc plus de cardinaux. Plus de pontife, plus que des poncifs.

Spéculer – Travailler toujours moins pour gagner toujours plus.

Venezuela – Beaucoup considèrent que sous la férule de Chavez, ce pays vit sous un régime dictatorial. La preuve en est que la principale chaîne d’opposition a été fermée par consigne du pouvoir. En France, cela ne pourrait évidemment pas arriver : il est vrai qu’il n’existe aucune chaîne de télévision d’opposition.

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