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15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 09:06
Tunisie : le procès de la répression réveille la colère des familles de victimes
Dans la tente pour les blessés, dressée à côté de la salle d'audience du tribunal du Kef.
Dans la tente pour les blessés, dressée à côté de la salle d'audience du tribunal du Kef. (Elodie Auffray pour Libération.)

De notre correspondante Enquêtes bâclées, procédure opaque : le verdict clément du tribunal du Kef, qui jugeait les responsables de la répression à Thala et Kasserine, est dénoncé par les familles, les avocats et les ONG.

Par ELODIE AUFFRAY correspondante à Tunis

C’est le plus grand procès de la répression pendant la révolution : le tribunal du Kef a rendu hier soir son verdict dans « l’affaire des martyrs de Thala et Kasserine ». L’ex-président Ben Ali a écopé de la peine la plus lourde : prison à perpétuité. Elle n’a guère de chance d’être mise à exécution : l’ancien raïs est toujours en fuite en Arabie Saoudite.

Pour la mort de 21 personnes, vingt-deux autres responsables comparaissaient sur le banc des accusés. Ministre de l’Intérieur jusqu’au 12 janvier, Rafik Belhaj Kacem a été condamné à douze ans de prison. Les autres peines varient de 8 à 15 ans. Dix ont bénéficié d’un non-lieu.

« Le verdict est trop clément», s’insurge Mohamed Rhimi, avocat de Kasserine et membre du « groupe des 25 avocats », un collectif engagé dans les procès post-révolution. «Ben Ali est condamné à la perpétuité, alors qu’il n’est inculpé que de complicité d’homicides volontaires. Tandis que ceux qui sont directement accusés n’écopent que de huit ou dix ans de prison, bien en-dessous des peines prévues par la loi. Ce jugement n’a pas de fondements, c’est un jugement politique. Le tribunal n’a pas voulu désenchanter totalement les familles, sans trop condamner non plus les responsables du ministère de l’intérieur, voire en prononçant un non-lieu pour certains. »

Parmi eux, Moncef Laajimi. Pour les familles de victimes et leurs avocats, l'homme est un cas symbolique de l’impunité qui persiste à l’égard des ex-responsables du ministère de l’intérieur. Envoyé pour diriger les forces de sécurité à Kasserine et Thala, le colonel dément toute implication et assure même avoir interdit les tirs à balles réelles. Promu directeur général des brigades d’ordre public - les « BOP », l’équivalent des CRS - six mois après la révolution, il a finalement été mis au placard, dès la prise de fonctions du nouveau ministre de l’Intérieur, issu d’Ennahda. Des milliers de membres des BOP s’étaient alors retiré dans leurs casernes, en signe de protestation.

« Le tribunal nous prend pour des imbéciles, il fait du cinéma », dénonce Thameur, frère de Raouf Bouzidi, tué à Thala. Il devait au moins faire une enquête sérieuse sur ce qui s’est passé pendant la révolution. Veulent-ils qu’on attaque nous-mêmes ces gens mal jugés ? »

Photo Elodie Auffray pour Libération.

Intimidations

A de nombreuses reprises, les organisations des droits de l’homme, les avocats, plusieurs militants ont dénoncé le déroulement du procès. Amnesty a fait état d’intimidations contre les témoins et les familles. « Lors de la dixième audience, le juge a révélé que les enregistrements téléphoniques des chefs de la sécurité avaient été détruits. Et ils ont continué le procès sans ouvrir d’enquête sérieuse sur cette destruction », explique Ramzi Bettaieb, blogueur et journaliste chez Nawaat, qui a mené une grève de la faim de deux semaines pour protester contre la confiscation de sa caméra par les militaires et contre cette « mascarade de procès ».

Anouar el-Bassi, autre avocat du « groupe des 25 », souligne d’autres irrégularités : le décret-loi adopté en juillet 2011 pour adapter la justice militaire à ce genre de procès a été conçu pour n’entrer en vigueur que fin septembre, explique-t-il. « Toute l’instruction s’est faite lors de cette phase, pour en laisser la partie civile à l’écart ». Les dizaines de compléments d’enquête requis pendant le procès n’ont que peu abouti. Le ministère de l’Intérieur a refusé l’accès aux registres qui consignent minutieusement l’utilisation des armes. « La seule vérité qu’on a découverte, c’est que personne ne veut la découvrir. Tout a été fait pour ramener l’affaire à une histoire d’indemnités financières, comme si c’était un simple accident de la circulation », tranche Anouar el-Bassi.

Aucun accusé n’a reconnu pendant l’audience avoir donné l’ordre de tirer. « Tous les avocats de la défense sont unanimes : quand une émeute vise directement les institutions de l’Etat, on ne peut pas attendre d’ordres. Les policiers étaient en situation de légitime défense, c’est la réalité du terrain qui a commandé leur action », estime Sami Souissi, avocat de Rafik Belhaj Kacem, qui souligne aussi les manquements de l’instruction, comme l’absence d’expertise balistique.

Les familles et leurs soutiens ne baissent pas les bras. Tous réclament toujours que le processus judiciaire soit confié à une instance civile, et non militaire. Après l’annonce du verdict, quelques troubles ont éclaté à Kasserine. « Mais les familles des victimes ont convaincu les jeunes de se calmer », rapporte un membre du conseil municipal. Indignées, elles n’en travaillent pas moins à une réponse. « C’est le calme avant la tempête, lance Helmi Chneti, frère d’une victime. Nous allons attendre quelques jours que le pays se stabilise [des émeutes en début de semaine ont éclaté et le couvre-feu a été décrété dans plusieurs régions, ndlr], mais on ne va pas fermer nos gueules. »

D’autres procès sont en cours, notamment celui qui concerne les victimes du Grand Tunis. D’après le rapport de la commission chargée d’établir les abus commis pendant la révolution, 338 personnes ont trouvé la mort lors du soulèvement.

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