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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 23:53



Alliot-Marie fait taire les chercheurs français en Egypte
  Par Ludovic Lamant, Michaël Hajdenberg

Le Quai d'Orsay continue de se prendre les pieds dans les révoltes du monde
arabe. Alors que Michèle Alliot-Marie s'embourbe chaque jour davantage dans
ses affaires tunisiennes, voilà que le Quai cafouille désormais en terre
égyptienne. Le ministère vient de demander à des chercheurs français basés
en Egypte de ne plus intervenir dans les médias hexagonaux. Dans le jargon
diplomatique, il leur est demandé d'«exercer, en qualité de fonctionnaire,
leur devoir de réserve». Du jamais vu, a priori, pour des experts pourtant
précieux pour comprendre la crise en cours... Le risque serait-il trop grand
qu'ils fassent entendre une analyse divergente de la diplomatie française,
ou juste une analyse, à l'heure où la France brille surtout par ses
silences?

L'un des chercheurs français les plus actifs en Egypte vient de faire les
frais de cette mesure étonnante. Marc Lavergne, directeur du Centre d'études
et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej), s'apprêtait
à intervenir sur France-24, lundi soir, lorsqu'il reçoit un appel
téléphonique de l'ambassade de France au Caire, lui demandant expressément
de garder silence dès à présent. Le géographe décide toutefois de ne pas
lâcher la chaîne au dernier moment et de répondre aux questions.

Le lendemain, c'est l'ambassadeur en personne qui l'appelle, et lui fait
comprendre qu'il a franchi la ligne jaune. Marc Lavergne lui répond qu'il a
annulé, dans la journée de mardi, une émission de France Culture et renoncé
à un direct sur RTL. «Ce chercheur est rémunéré par l'Etat et nous sommes
effectivement, en Egypte, dans une situation compliquée», confirme Yannick
Tagand, conseiller à l'ambassade de France au Caire.

Le porte-parole du Quai d'Orsay justifie la position française: «Un agent de
l'Etat français n'a pas à faire de déclaration publique à l'étranger sur la
vie intérieure d'un pays, qu'on soit chercheur, professeur ou encore
volontaire international. On a un travail très précis à faire. On doit
rester dans le périmètre de sa mission, période de crise ou pas», explique
Bernard Valero.

Pourtant, un ancien ambassadeur dans la région joint par Mediapart assure
n'avoir jamais connu pareille situation, vis-à-vis de chercheurs français,
tout au long de sa carrière.

Un autre diplomate, lui aussi spécialiste de la zone, ne voit que la
sécurité comme motif possible d'une telle consigne: «Dans ces situations
extrêmes, nous sommes amenés à prendre des décisions qui ne sont pas
parfaites. Et notre exigence de sécurité, dans ce cas précis, prime sur
l'exigence de savoir», reconnaît-il, rappelant que les journalistes
étrangers et les membres d'ONG sont pris pour cible en Egypte depuis mardi.
«L'immaturité de notre démocratie»

Pour Bernard Valero toutefois, cette mesure «n'a rien à voir avec des
questions de sécurité. C'est une règle générale».

La situation du Cedej est particulière puisqu'il s'agit d'un institut
français à l'étranger, à ce titre placé sous une double tutelle: celle du
Centre national de la recherche scientifique (CNRS), mais aussi celle du
ministère des affaires étrangères. Marc Lavergne reconnaît que la «situation
serait plus claire si nous relevions directement du ministère de la
recherche et du CNRS». Et de poursuivre: «Notre statut étonne et même
choque, comme un exemple anachronique de la centralisation française et de
l'immaturité de notre démocratie. Et la tentation existe parfois de nous
réduire au rôle de services d'appui scientifique et technique de la
coopération française, surtout en ces temps de contrainte budgétaire.»

Mais la méthode semble sans précédent dans l'Histoire récente. «Les envoyés
spéciaux français dépêchés au Caire peuvent donc interroger tous les
Français présents au Caire, sauf les chercheurs, qui sont pourtant censés
compter parmi les plus compétents pour analyser la situation...», regrette
Sylvain Kahn, producteur à France Culture, qui avait invité Marc Lavergne,
ainsi qu'un autre chercheur présent au Caire, pour intervenir dans son
émission, avant de devoir faire marche arrière, et se contenter de deux
invités en plateau, à Paris.

Au cœur de l'affaire, les usages et abus du droit de réserve. «Il est
évidemment indispensable comme garde-fou de l'administration», reconnaît
Marc Lavergne. «Mais c'est un concept qui, à peu près chaque fois qu'il est
employé, un peu comme le secret-défense, prête à discussion. En
l'occurrence, on peut se demander à quoi il s'applique: à une certaine
réserve qui s'impose s'agissant du fonctionnement d'une administration, des
dossiers qui y sont traités, et de la préservation d'intérêts supérieurs de
la nation, ou bien à des éléments d'analyse destinés à une meilleure
compréhension par le public d'événements traités par les médias, sur un
sujet complexe et étranger? Eléments d'analyse dont la production et la
diffusion sont au cœur de la mission de nos instituts...»

Depuis la fin janvier, Marc Lavergne, l'un des rares experts français sur
place, a été très sollicité par les journaux parisiens. Il a parlé, entre
autres titres, aux Inrockuptibles, à Challenges, à Sud-Ouest, ou encore à
France Culture et RFI. A chaque fois, il se livre à une critique assez ferme
de l'Egypte sous Moubarak, dénonçant la confiscation des richesses d'un pays
à bout de souffle, par une petite élite. «Que les chercheurs puissent
parfois être des poils à gratter, cela me paraît dans l'ordre des choses. Et
cela me paraît même pouvoir être un indicateur de leur pertinence. Il ne
s'agit pas de dévoiler des secrets, que de toutes façons nous ignorons, ni
de mettre en péril l'image de la France. Mais notre regard, notre rapport à
la société du pays d'accueil, sont nécessairement, espérons-le, différents
de ceux d'une mission culturelle ou diplomatique», poursuit encore Marc
Lavergne.

Sauf que son analyse semble, effectivement, à des années-lumière des propos
lisses de la ministre des affaires étrangères, lors de son dernier
déplacement en Egypte, le 22 janvier. Quelques jours après l'attentat
d'Alexandrie, qui coûta la vie à 21 personnes, elle vantait «l'Etat
égyptien, avec ses caractéristiques de démocratie et de tolérance».

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Source TERRA :
http://www.mediapart.fr/journal/international/040211/alliot-marie-fait-taire-les-chercheurs-francais-en-egypte

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